LES FRÈRES SISTERS : chronique

18-09-2018 - 17:15 - Par

LES FRÈRES SISTERS : chronique

Après la déception DHEEPAN, Jacques Audiard revient avec LES FRÈRES SISTERS et décortique les mécanismes de la violence pour délivrer un message d’espoir. Rarement aura-t-on senti le cinéaste aussi ouvertement sentimental et apaisé. Un grand film.

 

Des coups de feu dans une nuit d’encre. Seules les explosions au bout des canons, fugaces et puissantes, viennent narguer les ténèbres. Baignée dans l’obscurité, la violence semble ne pas avoir de conséquences. Si les hommes tombent, on ne les voit pas. Si le sang coule, il est invisible. Puis peu à peu, le cadre se rapproche des protagonistes, réplique après réplique et la caméra, de plus en plus mordante, capture les répercussions effroyables de la scène. L’introduction des FRÈRES SISTERS, huitième long-métrage de Jacques Audiard, est un modèle du genre : esthétiquement splendide, d’une grande précision de découpage et de montage, elle empoigne instantanément le spectateur de par son pouvoir fantasmatique. Aussi, elle en dit long sur les intentions du cinéaste qui deux heures durant, comme armé d’un microscope, va patiemment braquer son regard sur un groupe de personnages pour lever un voile, étudier avec minutie le déroulé de leurs actes, de leurs motivations à leurs retombées. Côte nord-pacifique américaine, 1851. Le Commodore (Rutger Hauer) ordonne à ses tueurs à gages, les frères Sisters, Eli (John C. Reilly) et Charlie (Joaquin Phoenix), de liquider Hermann Kermit Warm (Riz Ahmed), chimiste qui l’aurait spolié. Dans leur mission, ils peuvent compter sur la complicité de Morris (Jake Gyllenhaal), qui doit intercepter Warm… À travers son quatuor principal, Audiard observe par extension leur société et leur époque, miroirs des nôtres – et, dans le genre évocateur du western, trouve un écho au thème de la virilité, écrasante et/ou contrariée, qui a souvent hanté son cinéma. « Ce monde est une abomination », explique Hermann, personnalité noble, en quête d’une « nouvelle société sans avidité ». L’univers des FRÈRES SISTERS, c’est celui d’une civilisation où la violence se transmet de père en fils ; où tout va trop vite et où les villes sortent de terre en quelques mois, sans raison ; où les foules, trop occupées à s’agiter, n’en ont que faire si l’on tue sous leurs yeux ; où les femmes sont quasi-absentes de l’image quand l’homme est omniprésent. Ne pas croire que LES FRÈRES SISTERS peigne cette déréliction en faisant la leçon. Le film a l’élégance de ne pas se draper dans la moralisation. Il regrette seulement, mélancolique, l’absence de sentiments. Dans la relation conflictuelle mais exclusive des Sisters ou dans la tension homo-érotique, pudique et retenue, qui unit Morris à Hermann, LES FRÈRES SISTERS figure une quête de sentiments grandissante qui, scène après scène, emporte tout sur son passage. On l’entend notamment dans l’éblouissante partition – peut-être la plus marquante de sa carrière – d’Alexandre Desplat qui opère une subtile transition d’une musique heurtée, électrique, à des sonorités plus harmonieuses et symphoniques. C’est toute la beauté du film : furieusement politique dans son portrait d’un monde rongé par la peur (de l’autre, de soi, du changement, du lâcher-prise etc.), parfois même de manière méta (le choix de Riz Ahmed pour incarner Hermann), LES FRÈRES SISTERS vibre d’un grand humanisme, assénant que la barbarie, aussi puissante semble-t-elle être, ne dure qu’un temps. 

De Jacques Audiard. Avec John C. Reilly, Joaquin Phoenix, Riz Ahmed, Jake Gyllenhaal, Rutger Hauer. États-Unis. 1h57. Sortie le 19 septembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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