YÉTI & COMPAGNIE : chronique

Drôle, touchant, fort de commentaires sociopolitiques très affirmés, YÉTI & COMPAGNIE est une vraie réussite.

 

Est-ce la mauvaise influence de son médiocre titre français, décliné de la précédente animation originale du WAG (Warner Animation Group), CIGOGNES & COMPAGNIE (lui même repris à MONSTRES & CIE)? Quoi qu’il en soit, l’introduction de YÉTI & COMPAGNIE a des airs standardisés. Lorsque le yéti Migo (Channing Tatum) présente son village dans une séquence toute en effusion, vannes et… chanson, le spectateur se croirait projeté dans un remake de LA GRANDE AVENTURE LEGO, où une société vit dans la béatitude, obsédée par sa perfection de façade. Une mise en place impersonnelle suscitant un désintérêt poli… qui ne va pas durer. Tout le brio de YÉTI & COMPAGNIE tient dans sa capacité à désamorcer les apparences – à l’écran et dans le récit-même, malice méta qui définit bien le ‘ton’ du WAG. Migo tombe un jour, par hasard, sur une créature fantasmatique, un humain ‘Petit Pied’ (‘Smallfoot’, titre original du film, contrepoint au ‘Bigfoot’, le nom du ‘Yéti américain’). Sa découverte remet en question les croyances des Yétis, poussant le Gardien des Pierres Sacrées à le bannir du village. Mais aidé de congénères croyant à l’existence des ‘Petits Pieds’, Migo part à la recherche de preuves… Fondé sur une amusante inversion des mythes, YÉTI & COMPAGNIE ne cesse de surprendre. Jamais totalement où on l’attend, le récit est en constante mutation – de genres, de tons –, passant d’une quête de vérité à une histoire d’amitié contre-nature, d’une romance contrariée au conte moral. Jouant du slapstick Looney Tunes (longue et hilarante séquence où Migo ‘descend’ de sa montagne), de gags joyeusement idiots, de petites idées exécutées avec grande efficacité (la manière dont yétis et humains perçoivent leur langage respectif), de numéros musicaux allant du réussi à l’exceptionnel (le morceau de Common, ‘Let It Lie’, héritier du ‘Be Prepared’ du ROI LION), YÉTI & COMPAGNIE se révèle toujours plus fouillé et audacieux qu’il ne le laisse paraître. Et même quand le récit se fait plus convenu ou attendu, il mute à nouveau et se relance en allant vers le kaiju eiga ! Alors on ne s’étonne même plus quand il se permet aussi un propos sociopolitique particulièrement féroce. À travers un portrait sans fard du travail comme outil d’anesthésie des masses ou de la religion comme moteur d’obscurantisme, YÉTI & COMPAGNIE, mû par un véritable souci de progressisme et de remise en cause du statu quo, décortique les outils d’asservissement et de séparation des êtres. Une profusion pas toujours tout à fait canalisée, mais qui tire tout de même ce film très attachant largement au-dessus de la mêlée. 

De Karey Kirkpatrick. Avec les voix de Channing Tatum, Common, Zendaya. États-Unis. 1h49. Sortie le 17 octobre