LES ANIMAUX FANTASTIQUES – LES CRIMES DE GRINDELWALD : chronique sans spoiler

08-11-2018 - 22:01 - Par

LES ANIMAUX FANTASTIQUES – LES CRIMES DE GRINDELWALD : chronique sans spoiler

Alourdi par une intrigue nébuleuse et un cahier des charges difficile à respecter, LES CRIMES DE GRINDELWALD compense avec une vision politique du monde enragée, triste et désespérée.

 

On le sait, en matière de saga, les deuxièmes épisodes ne sont jamais faciles. Il faut prolonger le plaisir du premier volume, avec ses fondamentaux, et prouver qu’on est bien plus qu’une suite, bien plus qu’une pâle copie ou un ersatz : un nouveau monde à part entière. La tâche était donc colossale pour ces CRIMES DE GRINDELWALD puisqu’en plus de devoir dialoguer avec le premier ANIMAUX FANTASTIQUES, et d’imposer sa place, le film se devait de raccorder durablement cette nouvelle saga au Potter World. Une mission quasi impossible qui demandait à ce deuxième volet d’être à la fois prospectif (découvrir qui est Grindelwald et ses crimes), rétrospectif (que sont devenus Norbert, Queenie, Tina, le niffleur et les autres ?) et supputatif (à quel moment le récit va-t-il se raccorder à ce que l’on sait de l’histoire de Dumbledore et de Poudlard ?). Bref, un beau bordel bien brouillon. Hélas, J.K Rowling, ici scénariste, n’a pas su éviter l’écueil.

Là où LA CHAMBRE DES SECRETSnous avait permis de nous familiariser avec le monde de Poudlard, ses règles et ses personnages (avec une intrigue calée sur le premier tome mais plus complexe, plus fouillée, qui déposait les graines de ce qui allait germer dans les chapitres suivants), LES CRIMES DE GRINDELWALD démarre en trombe et égarera forcément le spectateur inconscient qui n’aura pas revu le film précédent. On se retrouve en quelques instants devant une avalanche de noms, de personnages et de situations, au point de se demander s’il est normal ou non de ne pas tout saisir. Un trop plein d’informations, parfois contradictoire ou volontairement flou, symptôme d’un film malade qui doit être tout à la fois. Ainsi, le départ de Norbert pour Paris est à la fois justifié et expliqué par une scène où Dumbledore lui ordonne une mission, puis par une menace persistante inconnue, et par un imbroglio amoureux très rapidement esquissé. Trois fils de récits distincts, trois tonalités (politique, merveilleuse et romantique), que J.K Rowling essaie de faire tenir ensemble au gré de l’intrigue.

Et c’est là où le savoir-faire indéniable de l’écrivaine et du réalisateur David Yates prend le relai. Car si le film souffre d’un récit par trop nébuleux, LES CRIMES DE GRINDELWALD emporte in fine par sa radicalité esthétique et thématique. Le merveilleux est mort, il va falloir tenir debout. Profondément noir, encore plus sombre et raide que les derniers Harry Potter, LES CRIMES DE GRINDELWALD ne raconte rien d’autre que la montée du fascisme et l’impuissance (voire l’inconséquence) de Norbert Dragonneau face à cette menace. Dans une scène sidérante, Rowling met dans la bouche de Johnny – Grindelwald – Depp (vraiment parfait) toute la rhétorique contemporaine de ces nouveaux fascistes à « visage humain ». Evidemment, si le film se situe à Paris à l’aube des années 1930, c’est pour raviver le spectre de la collaboration – ce voile noir de la honte qui recouvre la ville dans une magnifique scène. Mais c’est d’aujourd’hui dont veut nous parler Rowling. Sa colère, sa terreur face aux pulsions identitaires de notre époque infusent dans son écriture et transforment ce monde magique des années 20 en un miroir terrifiant. Pardonner les erreurs, consoler les plaies, redonner du sens au collectif : elle martèle des mantras tout au long du film comme des formules qui pourraient nous aider, nous, spectateurs du XXIème siècle, à faire reculer le mal. Surtout, elle est on-ne-peut-plus claire : il faut choisir son camp. L’effet est saisissant et même déstabilisant tant Rowling et Yates assument de front un pessimisme, une noirceur qui écrasent le merveilleux. Cahier des charges oblige, quelques animaux font leurs apparitions mais on sent bien que le cœur n’est pas à la fête.

Cette raideur-là, ce virage désespéré décevra sûrement certains spectateurs en quête du rocambolesque charmant du premier volume. Les autres, pour peu qu’ils passent outre quelques baisses de régime et la nébulosité du scénario, prendront en plein visage un beau blockbuster pétri de colère et de peine. En franchissant hors-champ dans la première demi-heure l’un des grands tabous du cinéma grand public, J.K Rowling et David Yates l’assènent : nous ne sommes plus des enfants. Il est temps de voir la réalité en face, si peu magique soit-elle.

De David Yates. Avec Eddie Redmayne, Johnny Depp, Jude Law, Ezra Miller. États-Unis/Royaume-Uni. 2h14. Sortie le 14 novembre

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