LES VEUVES : chronique

27-11-2018 - 10:42 - Par

LES VEUVES : chronique

Sans renier ses instincts politiques ni oublier ses ambitions de mise en scène, Steve McQueen réalise un grand divertissement populaire, efficace et intelligent. Un film de studio tout ce qu’il y a de plus noble.

 

Adapté d’une série anglaise des années 80, assez inconnue en dehors du territoire britannique, LES VEUVES met en scène quatre femmes dans un film de braquage, ce qui est déjà en soi une nouveauté. Et OCEAN’S 8 ?, opposerez-vous. Rien à voir et on pèse nos mots. Il y a braquage et braquage. Il y a celui motivé par l’appât du gain, par vanité peut-être, pensé par coquetterie, qui s’opère en talons hauts dans des galas de charité pour pin-up et popstars et celui qui est une question de vie ou de mort, qui s’exécute à bout portant chez les ripoux de la politique. LES VEUVES se déroule à Chicago, qui concentre toutes les luttes de pouvoir et attire toutes les convoitises. Ce sont pourtant toujours les mêmes qui règnent de père (Robert Duvall) en fils (Colin Farrell) mais de nouveaux ambitieux, les Manning (Brian Tyree Henry, Daniel Kaluuya), vont discuter ce monopole, avec les mêmes armes que leurs aînés (la corruption) et de nouvelles (l’ultraviolence). L’argent restant le nerf de la guerre, quand notre jeune candidat afro-américain à la mairie, Jamal Manning, découvre que des braqueurs (Liam Neeson, Jon Bernthal, Manuel Garcia- Rulfo…) lui ont piqué un gros paquet de fric, réduit en cendres dans l’explosion de leur fourgon blindé attaqué par le SWAT, c’est vers leurs veuves qu’il va se tourner pour obtenir réparation. Par la manière forte. Les épouses esseulées n’ont pourtant pas un sou de côté. Alors elles vont, elles aussi, organiser leur petit crime. Qui les en penserait capables ? Qui les penserait suffisamment courageuses et rusées pour se battre sur le terrain belliqueux des hommes ? LES VEUVES, film en pétard, orchestre une double révolte. Une soudaine lutte des classes des déshérités contre les nantis : le film gronde d’une colère sourde contre les puissants. Avec une mise en scène entièrement dévouée à explorer une ville ségréguée – magnifique plan séquence partant d’un ghetto et arrivant dans un quartier huppé, sur fond, en off, d’un éloge politique de l’ignorance –, le film est un sommet d’épopée criminelle, avec ses manigances et ses bras armés incontrôlables. Daniel Kaluuya compose un personnage de dangereux nettoyeur, sans limite ni tabou, qui hante le film d’une présence morbide. L’autre révolte est beaucoup plus désespérée. Celle de femmes comme des victimes déçues, trompées, épuisées, du patriarcat. Avec un système économique, social et politique souvent débilitant pour les femmes, les voilà au pied du mur, fracassées par le deuil, forcées à faire parler leurs instincts de survie. LES VEUVES, son bestiaire d’artisans du crime, sa mise en scène d’une ville comme le théâtre d’une guérilla humaine, n’a pas grand-chose à envier au cinéma urbain et brutal de Michael Mann – un duel nocturne en bagnole qui finit dans le décor justifie en lui-même la comparaison. Le film de Steve McQueen a même quelque chose en plus : sa tristesse dévastatrice. Car LES VEUVES, c’est d’abord l’histoire de quatre femmes que la phallocratie prive même d’être amies, sous peine probablement d’en mourir. À ce titre, les quelques derniers plans du film, un simple regard entre deux femmes, vous briseront le cœur. 

De Steve McQueen. Avec Viola Davis, Elizabeth Debicki, Michelle Rodriguez, Cynthia Erivo, Daniel Kaluuya, Brian Tyree Henry, Liam Neeson, Colin Farrell, Robert Duvall… États-Unis. 2h09. Sortie le 28 novembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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