Interview : C’est quoi, un film de Joseph Kahn ?

28-11-2018 - 10:28 - Par

Interview : C’est quoi, un film de Joseph Kahn ?

Depuis plus de 25 ans, il signe certains des clips les plus connus et célébrés. Au cinéma, après le néo-nanar TORQUE et le bijou pop DETENTION, Joseph Kahn passe aujourd’hui un cap avec le surpuissant BODIED – distribué sur YouTube Premium. À l’occasion de sa venue au 7e Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF) en décembre 2017, qui projetait son dernier né, Cinemateaser l’avait rencontré pour décortiquer la manière dont il façonne et déconstruit la pop culture.

 

Cet entretien a été publié au préalable dans le magazine Cinemateaser n°71 daté février 2018

 

BODIED en deux mots :
Adam consacre sa thèse au langage des battles de rap et, dans le processus, finit par monter avec succès sur scène. Il devient le protégé d’une star du circuit, Benh Grymm et, battle après battle, prend dangereusement confiance… Parmi les nombreux talents de Joseph Kahn, celui de savoir insuffler une foule de nuances à des univers, des scènes, des dialogues en apparence manichéens, outranciers voire franchement outrageants. Ainsi dans BODIED, chronique d’une culture populaire et de la manière dont elle est digérée – et appropriée –, le langage le plus agressif recèle des trésors de subtilités. En mettant la liberté d’expression au centre de son troisième film, Kahn en interroge non seulement les hypothétiques limites morales et humaines, mais surtout, confronte le spectateur à ce qu’il peut supporter. Il n’est ainsi pas anodin si BODIED s’ouvre sur un souffle pop imparable, euphorisant comme un fou rire, claquant comme une bonne vanne au rythme parfait, pour dériver vers le drame et la chronique sociale mélancolique, avant de se muer en tragédie grecque aux ramifications pathétiques, bouleversantes et franchement effrayantes. La manière dont Kahn met en scène les excès de masculinité, les certitudes aliénantes de ses personnages et de toute une société, continue d’en faire un des commentateurs les plus passionnants de la culture 2.0, dans ce qu’elle peut avoir à la fois de plus trivial et de plus politisé.

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Entretien avec Joseph Kahn

BODIED parle de liberté d’expression. En quoi s’insère-t-il particulièrement dans notre époque?
Joseph Kahn : Nous vivons dans une période intéressante grâce aux réseaux sociaux : les gens parlent davantage et disent des choses qui, avant, restaient cachées. Mais il y a une contrepartie : si vous n’êtes pas d’accord avec les propos de quelqu’un, on vous détruit. Si bien qu’au final, personne ne peut dire quoi que ce soit, à moins que ce soit correct. Or, c’est impossible ! La liberté d’expression signifie justement d’être confronté à des idées contraires aux nôtres. En Amérique, quand tout le monde s’est rendu compte qu’on tenait des propos très offensants dans BODIED, il a été refusé par quasiment tous les grands festivals nord-américains. Jusqu’à ce qu’il soit sélectionné à Toronto. Avant ça, BODIED effrayait les gens parce que c’est une satire. Sur les réseaux sociaux, à travers les mécanismes du ‘retweet’ ou du ‘like’, les gens sont entraînés à essayer de dire des choses que tout le monde aimera. On finit par croire que c’est une manière normale de réfléchir. Et si vous dites quelque chose que personne ne retweete, ça signifie que tout le monde vous déteste. BODIED parle de cette partie de notre discours à laquelle nous n’avons plus accès.

Dans le monde du clip, vous avez collaboré avec des groupes de métal et de rap très politisés. Considérez-vous votre travail comme politique ?
Pas directement. Mais il peut être politique dans son sous-texte. Je travaille énormément dans la pop. Or, quand j’ai commencé au début des années 90, elle n’existait plus : elle avait été à son apogée dans les 80’s mais dans les 90’s, il n’y avait plus que le rap ou le grunge. À l’époque, mettre des Blancs et des Noirs dans les mêmes clips pop apparaissait presque bizarre : ils étaient devenus des entités trop séparées. Mais si vous regardez mes clips pour les Backstreet Boys ou Britney Spears, vous verrez que j’essayais constamment d’y insuffler de la mixité raciale. Mon travail n’était donc pas directement politique, je ne disais pas : ‘Je proteste contre ceci’. Mais cette intégration, à l’image, était une protestation en elle-même.

À travers les imageries codifiées du métal et du rap, vous avez rendu visibles des cultures et des populations. C’est politique…
Disons que j’essaie moins de faire une déclaration politique que de résister aux normes de la société. J’essaie d’utiliser l’arme qu’est la pop culture pour dire des choses qui, de manière élusive, sont rebelles. Vendre aux enfants, via le clip, l’idée d’une société mixte où tout le monde est intégré, c’est rebelle. Mais le message n’est pas visible à la surface.

Vous avez fait des clips rap, métal, pop et même country. Comme si vous dressiez une carte de la culture américaine. Était-ce conscient ?
Oui. Pour avoir du succès, il faut se spécialiser : ne réaliser que des films d’horreur, ne jouer que dans des comédies. Dans le clip, faire uniquement du rap ou du rock et être vu comme un spécialiste. Si bien que lorsqu’on a besoin de faire un clip de rap, on appelle untel, pour un clip de rock, on appelle un autre etc. J’ai toujours résisté à l’idée de me cantonner à une seule chose. Dès que je devenais populaire dans un domaine, j’essayais de faire quelque chose de différent. Ça a ralenti ma carrière, d’ailleurs. La plupart du temps, j’étais le deuxième mec à choisir pour un clip de rap. (Rires.) Après j’étais le deuxième pour les clips de pop, de rock. Puis, au fil du temps, après 20 ans de carrière, les gens se sont dits : ‘Oh, il est compétent dans tous les domaines, faisons-lui confiance.’

À vos débuts, le clip de ‘To The Hilt’ pour Die Krupps est intéressant parce que c’est le premier dans lequel on détecte un désir de recherche de mise en scène : c’est un plan séquence, la caméra allant d’un axe à un autre. Avez-vous pris le clip comme un laboratoire ?
Ce clip a été une percée, pour moi : il n’y avait pas de montage et c’était la première fois que je me frottais à ce concept. Je voulais que mes clips me plaisent et qu’ils soient expérimentaux – sans vouloir sonner prétentieux. Pour moi, ‘expérimental’ peut signifier plein de choses, et notamment effectuer un montage très rapide – à l’époque ce n’était pas usuel, ça n’avait pas sa place dans le cinéma narratif des 80’s. Pourquoi monter des plans qui durent moins de deux secondes ? Dans un film, aucun dialogue ne fait moins de deux secondes ! Mais dans le clip, vous montez au rythme du beat. À mes débuts, j’ai beaucoup regardé les clips de David Fincher. Ses montages étaient très rapides. Dans le même temps, j’étudiais le cinéma de Steven Spielberg : il faisait des plans plus lents et son montage était invisible. Il y a donc toujours eu un conflit en moi entre le réalisateur qui voulait être Spielberg et celui qui voulait être Fincher. J’essayais de mélanger les deux dans des clips. À un certain point, je me suis demandé pourquoi je devais faire des coupes toutes les deux secondes. Peut-être que je pouvais créer du style avec des coupes toutes les sept ou huit secondes, tout en gardant la sensation de montage. Avec ‘To The Hilt’, j’essayais pour la première fois de briser ce montage calqué sur le beat.

Dans une des battles de BODIED, un rapper parle d’appropriation culturelle. La pop culture est, par essence, un creuset d’influences. Peut-on parler d’appropriation culturelle dans la pop ?
Ça peut surprendre mais je ne suis pas du côté des accusateurs de l’appropriation culturelle. Ça va me faire passer pour
un conservateur d’alt-droite mais évidemment, je ne le suis pas. Je déteste Trump ! (Rires.) BODIED se penche sur les préoccupations de l’Amérique à propos de l’appropriation culturelle. En Amérique, c’est un débat récurrent
qui s’est radicalisé au point où la culture noire américaine ne veut absolument
plus être approchée par les Blancs. Malheureusement, je ne crois pas que ce soit tenable. Bien sûr, je comprends leurs inquiétudes – notamment quand un artiste blanc, faisant la même chose qu’un artiste noir, obtient plus de succès. Mais je ne crois pas que ça tienne la route : au final, les plus gros artistes [musicaux] sont noirs. Dans BODIED, on discute de ça, notamment de la manière dont on tire avantage de quelque chose. Je veux dire par là que si le débat sur l’appropriation culturelle est peut-être exagéré, ses mécanismes sous-jacents, eux, existent bel et bien. Et je voulais explorer ce que ça signifie.

Être originaire de Corée, utiliser une imagerie asiatique dans des clips occidentaux d’un côté, diriger des clips au Japon ou en Corée de l’autre vous a-t-il donné une perspective différente sur le sujet ?
Oui et le plus hilarant c’est que lorsque j’ai fait des clips en Asie, les artistes s’y appropriaient la culture occidentale. Pourquoi est-ce qu’ils chantent du R’n’b ? (Rires.) Parce qu’ils aiment le R’n’b américain ! Désormais, quand je réalise un clip pour Taylor Swift, des fans de K-Pop m’accusent de les plagier. Tout ça parce qu’ils se réfèrent aux clips de Psy. Mais Psy copiait des clips d’Eminem que j’avais réalisés ! (Rires.) Ils copient mes trucs. Je copie leurs trucs. C’est un bordel total. Les gens n’admettent pas que la culture est flexible et l’a toujours été. Souvent, en Amérique, on se réfère à l’Europe pour savoir comment fonctionne la culture parce que nous n’en avons pas. On sait ce qu’est la culture française, allemande ou anglaise. Pourtant, si on observe le passé, les frontières de la France ont changé. La culture se transforme, c’est un processus constant.

TORQUE était un concours de ‘qui a la plus grosse ?’. Dans DETENTION, il y a une scène de débat d’éloquence. BODIED met en scène des battles de rap. Pourquoi aimez-vous filmer le conflit ?
En étudiant les films de David Fincher j’avais remarqué qu’ils fonctionnent au mieux quand deux personnages sont en conflit. Généralement, ses personnages sont aux extrémités du cadre et sa caméra légèrement basse. Au montage, il alterne des plans sur chacun, à son extrémité du cadre. Automatiquement, cela crée visuellement du conflit plutôt que de la communication. J’aime que les choses aient un certain poids, visuellement. Et, plus globalement, le conflit c’est la nature même de tout récit : on oppose deux idées et on cherche une résolution.
Je ne pense pas faire quoi que ce soit d’unique. J’aimerais avoir une réponse plus poétique, qui me donnerait l’air cool. (Rires.)

Vos clips sont des blockbusters pour d’immenses stars. Pourquoi n’avez- vous jamais réalisé de gros films ?
Parce que j’ai eu ma chance avec TORQUE.

TORQUE est considéré comme un blockbuster ?
Non, en effet. C’était un budget médian, 30 millions de dollars. Mais mon style était tel qu’il donnait l’impression que le budget était de 80 millions. C’est un problème : je peux faire croire qu’un film a coûté cher mais quand les résultats au box-office ne sont pas à la hauteur de cette impression… Sur TORQUE, les gens ont cru que Warner avait perdu énormément d’argent ! (Rires.) Et en plus, il a été laminé par la critique. Dans ces conditions, votre carrière s’arrête. Des tas de réalisateurs ont fait leur TORQUE et ne sont jamais revenus. Après TORQUE, ça a été une lutte pour continuer à bosser.

Pensez-vous que la créativité dépend de l’argent dont on dispose ?
DETENTION, BODIED et le court- métrage POWER RANGERS ont été montés avec mon argent, donc j’ai fait exactement ce que je voulais. Si je voulais un plan supplémentaire, je le payais. Mais il est nécessaire de parler de créativité dès lors qu’elle dépend de certaines contraintes. Steven Spielberg, par exemple, travaille dans le monde des studios. Ça demande du talent : il faut jouer avec les limites qu’imposent les politiques de studios et les règles syndicales, tout en parvenant à construire une œuvre personnelle. C’est un talent que je n’ai pas développé, sauf peut-être dans le clip. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de réalisateurs de clips qui, comme moi, font des blockbusters au style très personnel. C’est quelque chose que j’ai appris au fil de nombreuses années. Mes clips sont aussi créatifs que mes films sur lesquels j’ai une liberté totale. Je ne ressens pas de différence.

Savez-vous comment l’industrie vous perçoit ? On trouverait ça fou que vous ne receviez aucune offre hollywoodienne…
J’en reçois de temps en temps. La hype fonctionne étrangement à Hollywood. Il y a trois ans, j’ai sorti presque en même temps le court-métrage POWER RANGERS et le clip ‘Bad Blood’ de Taylor Swift. Dans ce genre de moments, Hollywood vous offre un mois de rendez-vous. Puis au bout d’un mois, terminé. Si je ne signe pas pour un projet durant ce mois où je suis populaire, une autre personne plus en vogue prend ma place et on m’oublie. J’ai eu pas mal de ces moments : on me propose des choses et je finis par tout refuser. Alors tout le monde se dit : ‘Ce mec est naze.’ (Rires.)

Pourquoi refusez-vous ces offres ?
Ce sont des projets sur lesquels je n’ai pas envie de passer deux ans de ma vie. Je crois être l’un des premiers réalisateurs ‘post-Hollywood’. Avant, Hollywood contrôlait tous les moyens de distribution et, pour percer, il fallait faire un film de studio. Aujourd’hui, vous pouvez réaliser des pubs pour vivre. Vous pouvez faire de la télé, des clips, des courts-métrages pour le Net etc. Il y a plus de possibilités de nos jours pour un réalisateur comme moi. Du coup, pour m’extraire pendant deux ans de cet univers d’incroyables possibilités, il faut vraiment que le projet m’intéresse.

Où se situe votre ego ? Vous préférez conserver votre statut de réalisateur ‘culte’ plutôt que d’arpenter les grands festivals, par exemple ?
Oui, car dans mon for intérieur, je suis quelqu’un de très privé. Sur Twitter, je libère un peu mes idées intellectuelles, mon envie de débat. Mais je ne parle jamais de moi – personne ne sait où j’habite, avec qui je partage ma vie. Je vis dans un monde de célébrités : dans le clip j’ai travaillé avec les plus grandes stars, j’ai vu ce qu’est la notoriété et ça ne m’intéresse pas. Je veux pouvoir me balader dans la rue. Je ne ressens pas le besoin d’être davantage connu. En revanche, j’ai envie que mon travail soit apprécié, ça c’est certain. J’aime que les gens réfléchissent à mon travail, écrivent des analyses, aient des discussions etc. C’est plus gratifiant.

DETENTION est un teen movie destiné aux trentenaires, voire aux quadras. Pensez-vous que vos films ont l’air d’être pour un jeune public alors qu’ils sont destinés à la génération précédente ?
Sur Twitter, si je me dis qu’un ado de 17 ans ne comprendra pas une référence aux 80’s, je vais consciemment changer pour une référence plus actuelle, qu’il comprendra. Là-dessus, DETENTION vise un équilibre un peu étrange. BODIED, lui, est destiné à un jeune public mais
il critique les jeunes : certains comprendront, d’autres pas. J’ai 45 ans : je ne devrais pas en savoir autant sur la pop culture actuelle. Sauf que je travaille dans ce domaine. Du coup, mes films combinent étrangement les connaissances d’un adulte et celles d’un jeune.

Vous commentez la culture d’aujourd’hui. Mais comme tout le monde, vous ne rajeunissez pas. Saurez-vous le jour où votre regard deviendra réactionnaire ?
À certains niveaux, je suis déjà
réactionnaire : je suis impatient et je dois constamment me souvenir du point de
vue d’un ado de 17 ans. Surtout en ce qui concerne la politique. Par exemple, quand
on voit des jeunes protester sur un
campus contre d’autres jeunes qui se sont déguisés en Natifs américains à
Halloween, il faut comprendre qu’ils ont
18 ans, qu’ils viennent d’apprendre ce
qu’est l’appropriation culturelle. Ils n’ont
pas l’expérience nécessaire pour remettre
les choses dans leur contexte. Quand vous arrivez à 40 ou 45 ans, vous avez juste conscience que notre monde est tout pété, qu’il n’y a pas d’idéalisme. Il y a la théorie et la pratique. Et, dans la pratique, vous apprenez que les gens sont des ordures. (Rires.) Que la bêtise existe et que parfois, les gens sont de plus en plus stupides en vieillissant. Vous comprenez la nature ridicule et absurde de la vie. Les jeunes ont un regard plus frais parce qu’ils n’ont pas encore fait l’expérience de ce qui va leur arriver. Mais une personne plus âgée doit être consciente de la réalité tout en évitant de balayer d’un revers de main cet enthousiasme juvénile.

Dans votre court POWER RANGERS, les personnages avaient vieilli. Vous mettez en image le vieillissement de la pop culture dans DETENTION. Vous définissez-vous comme un post-moderne ?
Oui !

Dans tous vos travaux ? On a la sensation que, dans vos films, vous commentez une culture que vous avez participé à créer dans vos clips…
Oui c’est vrai et je ne sais même pas quel terme utiliser pour ça.

Vous êtes méta post-moderne !
(Rires.) Oui !

Du coup, comment ne pas devenir cynique ?
La personne qui a réalisé BODIED est bien plus cynique que celle qui a fait DETENTION. C’est un processus naturel quand on vieillit. Le monde de 2017 est très différent de celui de 2010. Regardez ce qu’est devenue l’Amérique. Je serais un idiot si je n’étais pas cynique à propos de l’Amérique de 2017 ! BODIED a été fait au moment où Trump commençait à grimper, où [le joueur de foot] Colin Kaepernick a commencé à s’agenouiller (durant l’hymne américain avant les matchs pour protester contre les violences policières à l’encontre des afro-américains, ndlr), où les tensions entre Blancs et Noirs se sont accrues. Ça fait de BODIED un film bien plus cynique.

Pourquoi aimez-vous autant filmer la jeunesse ?
Il y a en moi une part de déni de mon vieillissement – j’écoute encore de la musique ‘de jeunes’ et je comprends la culture jeune. En revanche, il devient très clair que je ne devrais pas passer mon temps avec des personnes de 18 ans ! (Rires.) Quand j’avais 35 ans c’était déjà un peu sinistre mais aujourd’hui, à 45 ans, c’est carrément bizarre. Mais c’est mon boulot qui veut ça ! Pourquoi j’aime autant filmer la jeunesse ? Je ne sais pas. Peut- être que ce ne sera pas le cas dans mon prochain film. Les idées auxquelles je réfléchis vont peut-être me mener à m’intéresser… aux trentenaires ! (Rires.)

Quand vous filmez la jeunesse, avez-vous envie que le public plus âgé soit en régression ?
Pour moi, POWER RANGERS était une expérience fantastique à ce titre parce que je voulais que les gens de 20 ans se sentent vieux en le regardant. J’avais largement dépassé l’âge qui m’aurait permis d’avoir vu la série, je n’y connaissais rien. Mais le producteur Adi Shankar m’a convaincu de réaliser ce court et j’ai décidé de vieillir les personnages puis de les tuer. C’était drôle de lire les commentaires sur le Net : des gens de 25 ans disaient se sentir ‘tellement vieux’ ! (Rires.)

Du coup, quel regard portez-vous sur la vague nostalgique actuelle ?
DETENTION est un film sur les années 90 réalisé en 2010, des décennies pas si éloignées. Certains trouvaient ça ridicule : ‘Ça intéresse qui, les 90’s ?’ C’était très conscient de ma part de faire un film de voyage temporel absurde dans lequel des personnages voyageraient vers une époque dont tout le monde se foutait à ce moment-là. Quand des gens disent se sentir vieux en regardant DETENTION ou POWER RANGERS, ça me permet d’établir un commentaire méta sur la rapidité à laquelle la société évolue, sur la manière dont on tend à régurgiter des idées et à s’accrocher à elles. J’aime les années 80 mais je n’aime pas STRANGER THINGS. Quand ils refont la scène où Elliott et E.T. s’amusent avec les jouets, ils ne commentent rien, ils ne font que voler à Spielberg. La nostalgie est fabriquée par Hollywood parce qu’ils ne savent pas créer des choses originales. Ils savent regarder ce qui a fonctionné et reconditionner. Sur STRANGER THINGS ils n’ont même pas été assez malins pour ça. Quand Spielberg, un enfant des 50’s, réalise E.T., ses personnages vivent dans les 80’s. S’ils refaisaient E.T. aujourd’hui, il ne se déroulerait pas de nos jours mais dans les années 80 !

Et pourtant, les films de Spielberg des années 80 restent nostalgiques.
Oui mais le langage qu’il utilise est moderne : les gens dans les années 50 ne disaient pas ‘haleine de pénis’ ! Quand vous voyez des jouets STAR WARS dans E.T., c’est le portrait d’une époque. Les spectateurs pouvaient se dire : ‘Ces gens sont comme moi. Leur vie ressemble à la mienne.’ Quand vous regardez STRANGER THINGS, ça n’a rien à voir avec aujourd’hui : les gamins de 2017 n’aiment pas SOS FANTÔMES ! (Rires.)

À ce titre, cela a-t-il été naturel pour vous de recréer les 90’s dans DETENTION ?
DETENTION se déroule en partie dans un lycée en 1992. Moi, j’ai fini le lycée en 1990. En 1992, je commençais déjà à réaliser des clips de gangsta rap hardcore dans le ghetto. Donc je n’étais en fait pas très familier du monde de 1992 tel que le montre DETENTION. J’ai dû faire des recherches !

Et pourtant, le film ressemble à certains de vos clips pop…
Au départ, les personnages devaient aller en 1985, pas en 1992. Puis à mesure que les années passaient, j’ai déplacé le récit, ça semblait plus frais. Ça a changé le ton du script : tout à coup, ça sonnait très agaçant d’entendre Ione lancer toutes ces expressions 90’s. Le plus étrange étant qu’un gamin qui regarderait DETENTION pour la première fois aujourd’hui saisirait ces références. Il comprendrait que des lycéens parlent des 90’s. Alors qu’à la sortie, tout le monde détestait cette décennie.

Pour conclure, deux petites questions. Si vous deviez regarder un film ce soir, vous choisiriez lequel ?
En ce moment, je regarde MUNICH. J’étudie la manière dont Spielberg fait les choses. Et j’ai dû faire pause au moment où ils se rendent en France ! (Rires.)

Et si l’on vous demandait de définir votre style ?

(Il réfléchit) Quand Spielberg rencontre Satan ! (Rires.)

 

BODIED, disponible sur YouTube Premium depuis le 28 novembre

 

 

 

 

 

 

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