ASSASSINATION NATION : chronique

04-12-2018 - 18:21 - Par

ASSASSINATION NATION : chronique

Avec son énergie adolescente, ASSASSINATION NATION fait de son immaturité sa plus grande force. Rien ne l’arrête.

 

Un hacker anonyme pirate les portables des habitants de Salem. Les vies privées ainsi étalées sur la Toile, la ville sombre dans l’anarchie. Voilà pour la version courte de ce qu’est ASSASSINATION NATION. Mais dès le générique, voix off prophétique sur un supercut de flashforwards, on nous l’explique : c’est la fin du monde. Face à la révélation de coucheries, à la débauche de nudes, de dick pics et de photos ambiguës, le tribunal moral, les social justice warriors, les cyberharceleurs débarquent juste là, sous les fenêtres, et l’enfer des réseaux sociaux prend forme humaine au coin de la rue. Les pires insultes pleuvent. Xénophobes, racistes, transphobes, homophobes… Quatre lycéennes bien dans leurs baskets, cultivant leur jardin secret et leur e-réputation, vont devenir les exutoires de ce chaos. « Salem », rappelez-vous. Après « toutes des sorcières », maintenant « toutes des salopes ». L’analogie est grossière quoique bien dans l’époque : le réalisateur Sam Levinson raconte en mode 2.0 les parallèles évidents entre la misogynie d’aujourd’hui et celle d’hier. Entre la phallocratie d’avant et le patriarcat moderne. ASSASSINATION NATION utilise toutes les vulgarités de notre époque, tous ses barbarismes, toutes ses aberrations pour opérer une démonstration efficace, si ce n’est par l’absurde, du moins par l’outrance, que peu importe la cosmétique de l’époque, la nature humaine est toujours aussi laide. Nouveau ? Non. C’est aussi éculé que la révolte adolescente mais la contestation, forte d’un langage d’aujourd’hui, est réactualisée avec perspicacité. Le film profite à plein de la liberté octroyée actuellement par le cinéma, en plein examen de conscience. Le réalisateur explore à fond les dérives de l’objectification et du male gaze tout comme leur effet immédiat sur la misogynie quotidienne. C’est donc un cinéma bourré de clichés intentionnels, un sous Bret Easton Ellis un peu ridicule, un peu visionnaire, qu’il faut décoder pour saisir l’essence du message. Rassurez-vous, on n’en fera pas une méningite. Toutefois Levinson n’oublie jamais la dramaturgie (les attaques violentes sur l’identité et le lynchage constituent le cœur de cette tragédie apocalyptique) ni la mise en scène (le film d’horreur en creux est formidable) ni l’imagerie. Hélas, cette dernière prend souvent l’ascendant et, pas peur fier de ses images ni de sa propre conscience politique, Levinson se regarde parfois filmer. Plus gênant, il n’échappe pas à l’iconisation de la violence, aléa typique des films qui veulent dénoncer l’Amérique des armes et de la haine tout en capitalisant sur son pouvoir cinématographique. 

De Sam Levinson. Avec Odessa Young, Suki Waterhouse, Hari Nef. États-Unis. 1h50. Sortie le 5 décembre

3Etoiles

 

 

 

 

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