SORRY TO BOTHER YOU : chronique

30-01-2019 - 10:38 - Par

SORRY TO BOTHER YOU : chronique

Communiste agacé, penseur diabolique, esthète réjouissant, Boots Riley fait son premier film. On voit rarement aussi dingue et décapant.

 

« Désolé de vous déranger », c’est ce que répète Cassius (Lakeith Stanfield), depuis son centre de démarchage par correspondance, à quiconque a le malheur de décrocher son fixe. Un dur métier qui, lui dit-on, sera beaucoup plus concluant s’il trouve sa « voix de Blanc », une voix que les gens aiment bien entendre, qui les rassure. Personne ne parle comme ça, mais c’est un idéal américain, raciste, qui garantit la bonne marche de la consommation. Désormais Cassius cartonne et devient un « power caller », un super employé bientôt propulsé au top de RegalView. Pendant ce temps, les employés organisent une grève pour protester contre des salaires insuffisants et un groupe radical, « The Left Eye », tente de faire tomber WorryFree, une compagnie qui fait miroiter du rêve à qui veut bien se rendre corvéable à merci. « Désolé de vous déranger », c’est aussi ce que semble éructer, avec force ironie, Boots Riley à la face des Américains (et des autres, il n’est pas sectaire) confortablement installés dans leur consumérisme et réveillés de temps à autre de leur torpeur par des protestations de façade. Le réalisateur, afro-américain et communiste, a donc créé, comme un visionnaire entreprendrait d’orchestrer le big bang, un film punk et ultra-engagé sur comment le capitalisme nourrit la suprématie blanche (et vice versa). L’intelligence du film étant de propager sa politique avec un humour ultra-grinçant et des inventions visuelles que ne renieraient ni Gondry ni Spike Jonze. Comme eux, Boots Riley part du slacker movie puis tricote à ses héros ordinaires des écrins de poésie, un terrain de jeu amusant et métaphorique. Malin en diable, il a écrit une histoire d’une simplicité enfantine, qui reflète pour lui la simplicité de la solution : la lutte des classes pour mettre fin à l’injustice sociale. Le ludisme laisse souvent place à un humour beaucoup plus abrasif, qui fait soudain rire jaune, épinglant sans ménagement le racisme systémique, le politiquement correct des Blancs, l’hypocrisie de certains Afro-américains face au rêve américain et leur ambition. Plus généralement, la société d’aujourd’hui en prend méchamment pour son grade : gentrification, marché de l’art, interdépendance de la lutte et de l’argent… Boots Riley ne nie jamais la complexité du problème mais il le fait en se marrant. Son film est un coup de maître, bourré de coups de génie. Le premier ? Celui d’avoir offert le rôle principal à Lakeith Stanfield, boy next door qui, d’ATLANTA à GET OUT, a fait de sa dévastatrice nonchalance une arme de séduction massive. Il contribue beaucoup au savant mélange de bonhomie et d’arrogance de SORRY TO BOTHER YOU. 

De Boots Riley. Avec Lakeith Stanfield, Steven Yeun, Tessa Thompson États-Unis. 1h45. Sortie le 30 janvier

4Etoiles

 

 

 

 

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