SI BEALE STREET POUVAIT PARLER : chronique

30-01-2019 - 10:42 - Par

SI BEALE STREET POUVAIT PARLER : chronique

L’adaptation du roman terrassant de James Baldwin par le réalisateur le plus délicat du cinéma américain contemporain.

 

La saturation des couleurs la nuit, et les cordes déchirantes du compositeur Nicholas Britell rappellent forcément BEALE STREET à l’une des influences majeures de Barry Jenkins : Wong Kar-Wai. Celui qui n’a peur d’aucune envolée lyrique est aussi l’un des rares cinéastes américains à revendiquer ce romanesque pictural et musical échevelé, appelant le spectateur à ressentir le film à travers chaque couleur et chaque note. Il vous transperce par la pureté de ses images, de sa bande originale, des émotions. Impossible d’en sortir indemne : on est durablement marqué par la majesté de son cinéma, un cinéma qui pose sur des personnages attaqués par la violence américaine un regard bienveillant. En son temps, dans ses essais ou ses romans, James Baldwin, auteur de « Si Beale Street pouvait parler », mettait les bons mots sur le racisme de son pays et ver- balisait, avec force vérité, le saccage des corps noirs d’aussi loin que l’Amérique existait. Barry Jenkins reprend à son compte ce discours politique dans ce film d’amour qui orchestre, subtilement mais puissamment, le combat entre la vie et la mort, entre la privation du corps et son accomplissement. Fonny (Stephan James), artiste qui crée des formes de ses mains, est emprisonné pour avoir violé Victoria (Emily Rios). Si la jeune portoricaine est bien victime, ce n’est pas de lui. L’accusé a en fait été piégé par un flic raciste (Ed Skrein). Tish (Kiki Layne), la fiancée de Fonny, cherche à l’innocenter. L’enjeu est d’autant plus crucial qu’elle attend un enfant. C’est alors toute la famille qui va tenter de faire libérer Fonny tout en ménageant Tish à l’annonce du nouvel événement. Seule une poignée de personnages joue BEALE STREET et rejoue le drame racial qui s’y noue. À force de plonger leurs yeux dans les nôtres, ils nous deviennent comme familiers. Ils se confient, occupent de leur écrasante présence des plages de silence, des moments rien qu’entre eux et nous. Le tourment, la douleur et l’urgence du présent tranchent radicalement avec le bonheur des souvenirs, quand Tish et Fonny pensaient avoir la vie devant eux. Chaque photo d’archive est un rappel au réel : la vie afro-américaine ne se calcule que par instant t, elle ne se conjugue jamais au futur. Au passé, le film est une balade baignée de lumière, dans un Harlem peuplé d’une communauté qui palie la peur par beaucoup d’amour. Au présent, c’est une tragédie. La mise en scène, le style, le jeu, tout est dévolu à souligner ce contraste terrassant qui pose la question capitale de BEALE STREET : comment la beauté peut-elle survivre à tant de cruauté ? 

De Barry Jenkins. Avec Kiki Layne, Stephan James, Regina King États-Unis. 1h57. Sortie le 30 janvier

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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