LA FAVORITE : chronique

05-02-2019 - 11:54 - Par

LA FAVORITE : chronique

Sale, cruel, drôle, tragique et génialement queer, LA FAVORITE de Yorgos Lanthimos transforme le classicisme en art contemporain.

 

D’ordinaire, les films de Yorgos Lanthimos ont pour point de départ l’imaginaire cinglé de son auteur. Quiconque a vu CANINE ou THE LOBSTER connaît sa capacité à investir des scénarios improbables et torturés. LA FAVORITE change en apparence la donne. Pour la première fois, il se frotte au concret avec des personnages réels, dans une époque précise avec ses us et coutumes documentés par l’Histoire. Soit l’Angleterre du début du XVIIIe siècle, la cour de la Reine Anne et les manigances de deux femmes pour être désignées favorite de la monarque. Mais de la guerre sourde que se sont menées Sarah Churchill, duchesse de Marlborough (Rachel Weisz), et Abigail Masham (Emma Stone) pour l’amour et le pouvoir d’Anne (Olivia Colman), de cette matière purement historique, le réalisateur tire une œuvre qui n’a rien d’un film d’époque. Pourtant tout est là : le faste des décors et des costumes, la langue. Mais Lanthimos est joueur et cherche à déstabiliser le spectateur en l’interrogeant sur le classicisme supposé de ce qu’il voit. Il ne joue pas la carte du film pop à la Baz Luhrmann mais, comme pour ses précédents films, pense LA FAVORITE comme un récit fondateur et primitif qui transcende la question des époques. Ainsi, les rapports de pouvoir y sont autant des jeux de séduction que des pratiques sado-maso où l’élégance n’est qu’un cache-misère de la pourriture qui rôde. Somptueux, dans des clairs obscurs ‘barry-lyndoniens’, le film attrape en permanence la rétine en mélangeant dans un même mouvement le bon et le mauvais goût, le classicisme et l’hyper modernité – les plans en fish eye, les travellings circulaires, les très longs fondus enchaînés feront grincer les dents des puristes. Mais surtout, Lanthimos continue d’imposer son ton radical en filmant le tragique à la limite du comique et la comédie à la limite de l’horreur. Ce qu’il offre à ses actrices est un laboratoire de luxe. Quelque part entre un remake en costumes des ‘cat fights’ de DYNASTIE, un splendide mélo lesbien mortifère et une œuvre joyeusement queer et camp, l’investissement fou de Stone, Weisz et Colman oblige le film à être à leur hauteur. Contraint à tenir le récit debout, Lanthimos réussit donc la prouesse d’infuser les méandres tortueux de son cinéma pessimiste dans la grande Histoire. Le puissant dernier plan du film, symbole d’un système et d’un monde où tout n’est que dominant et dominé, clôt une œuvre-somme, mal aimable certes, mais profondément généreuse en cinéma. Quand la narration se dissout et qu’il ne reste que la sensation tenace et indélébile des images, ça s’appelle une œuvre d’art.

De Yorgos Lanthimos. Avec Olivia Colman, Emma Stone, Rachel Weisz. États-Unis/Grande-Bretagne. 2h. Sortie le 6 février

4Etoiles

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.