LA CHUTE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN : chronique

19-02-2019 - 11:41 - Par

LA CHUTE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN : chronique

Denys Arcand, l’un des plus grands réalisateurs québécois en activité, revient avec une fable sur l’argent et la morale. Un film provocateur, un thriller efficace…

 

Titulaire d’un doctorat en philosophie, Pierre-Paul occupe le modeste mais lucratif job de livreur. Un jour, alors qu’il s’apprête à déposer un énième paquet, il est témoin d’un braquage qui tourne mal, le laissant seul devant deux sacs contenant 12 millions de dollars. Sans réfléchir, il les prend. Désormais traqué par la police et par la pègre, liée à cette somme faramineuse, ce jeune homme à la morale rigide confrontée à ces circonstances exceptionnelles est confronté à cette question impossible : que faire de ce butin ? Et comment ?

Rebaptisé LA CHUTE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN, après avoir été annoncé sous le titre LE TRIOMPHE DE L’ARGENT, le film s’expose automatiquement à la comparaison avec son illustre aîné LE DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN, film culte sorti au milieu des années 80, en plein reaganisme triomphant, véritable photographie d’une ère fondatrice de notre époque moderne. S’il n’entretient aucun lien narratif ou dramatique avec cet encombrant ancêtre, ce drame lui emprunte des thèmes communs, revisités avec des décennies de perspective. Une distance qui apporte un vernis distinct aux réflexions sur cette société régie par l’argent, la dissolution de l’éthique au profit du bénéfice et de l’optimisation à tout prix ou simplement la place de l’Homme dans ce monde bouffé par un cynisme déshumanisé et déshumanisant.

Un cynisme étonnamment et salutairement absent de ce film toujours direct et en mouvement, profondément ancré dans un optimisme volontaire ou dans un humanisme frénétique, c’est selon. Arcand fait en effet de son Pierre-Paul un Robin des Bois 2.0, quitte à tordre brillamment le coude à son récit. Et quitte à faire de ce voleur, dans une définition primaire et vulgairement juste, un être bon car profondément et parfois superficiellement dans le doute moral.

La morale est au cœur de ce film qui ne cesse d’interroger ses personnages autant que le spectateur, constamment renvoyé à ses propres convictions. Est-il pour ce voleur, vierge de tout péché antérieur? Ou pour la police, qui le traque raisonnablement pour le vol ? Pourquoi tient-il les artistes de la haute finance en si basse estime alors qu’eux utilisent les outils, au final légaux, à leur disposition ? Le film penche nécessairement d’un côté plutôt que de l’autre, à la fois joyeusement roublard et intrinsèquement manifeste.

Mais le véritable sujet de LA CHUTE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN n’est pas dans l’intrigue écrite mais bien dans les images disséminées ici et là, non pas comme gimmicks ou virgules mais comme véritable centre de gravité de cet autre film, ce rappel à la réalité au-delà de toute opération de fiction. Ces images documentaires sont celles de ces laissés pour compte, de ces sans-abris qu’ils soient sur les trottoirs ou dans des foyers, de ces Inuits mis au ban d’une société débridée économiquement, sans accès à cet argent, fût-il tombé du ciel ou d’un braquage, de ces immuables victimes d’un système sans visage. Ces âmes, ces silhouettes, ces amas de chair et de vêtements sont la marque au fer rouge laissé une fois la lumière rallumée.

Cette CHUTE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN n’est pas un film somme pour le doyen Denys Arcand, cinéaste à la fois installé et refusant le confort. Ce réalisateur qui, avec ce film, commet des actes de mise en scène jamais vus auparavant dans sa filmographie et en même temps parfaitement en accord avec sa morale. Cette morale définitivement au cœur de son œuvre et toujours interrogative, tout comme cette volonté de relater une page d’histoire. L’Histoire, cette obsession au cœur même de son œuvre.

Cette CHUTE est une forme d’introspection sur sa création et plus globalement sur la société québécoise et mondiale dans laquelle ses œuvres ont grandi, vieilli, interrogé, dérangé…

De Denys Arcand. Avec Alexandre Landry, Maripier Morin, Rémy Girard, Louis Morissette, Maxim Roy, Pierre Curzi, Vincent Leclerc, Yan England, Claude Legault. Québec. 2h09. Sortie le 20 février

4Etoiles

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.