Cannes 2019 : THE LIGHTHOUSE / Critique

19-05-2019 - 18:12 - Par

Cannes 2019 : THE LIGHTHOUSE

De Robert Eggers. Quinzaine des Réalisateurs.

 

Synopsis officiel : Le récit hypnotique et hallucinant de deux gardiens de phare sur une île reculée et mystérieuse de la Nouvelle-Angleterre dans les années 1890.

 

Une corne de brume retentit. Un navire s’approche d’une île minuscule sur laquelle trône un phare. Les flots battent la proue, alors que le bateau fend l’eau. Une fois débarqués, deux hommes observent le phare puis leur navire qui s’éloigne, les laissant seuls, à leur mission. Dire que les toutes premières minutes de THE LIGHTHOUSE sont atmosphériques ne permet pas encore complètement de retranscrire la charge évocatrice qui les animent. Dans un format carré et un noir & blanc très contrasté, THE LIGHTHOUSE entend presque ressusciter l’expressionnisme à lui tout seul. Et c’est sans doute son problème… Impossible de ne pas admirer le tour de force technique – le film a été tourné en pellicule noir & blanc, un défi de moins en moins entrepris, les productions contemporaines préférant filmer en couleur puis passer au noir & blanc en post-production. Impossible, aussi, de ne pas être parfois béat devant le brio esthétique déployé par le réalisateur Robert Eggers et son chef opérateur Jarin Blaschke : ils démontrent un sens du cadre évident, impressionnant, où chaque composition crée l’étrangeté, le lyrisme, l’écrasement des personnages – et du spectateur – sous une chape de gravité opératique. À bien des égards, THE LIGHTHOUSE est une recherche en artificialité. Une gageure passionnante : peut-on encore, aujourd’hui, sublimer et transcender la réalité avec une image, jusqu’à l’excès ? Oui, évidemment, comme l’a prouvé LE LAC AUX OIES SAUVAGES en compétition. Le chemin que prend THE LIGHTHOUSE est néanmoins tout autre : ici, l’artificialité semble une fin en soi. Mais la simple et seule expérience de cette fantasmagorie picturale ne suffit pas. Incapable d’injecter à son histoire de descente dans la folie le moindre schéma surprenant, Eggers a tendance à tenir le spectateur à distance. Quand, dans son précédent long, THE WITCH, il parvenait avec le même genre de méthode à inclure le spectateur en raison d’une promesse captivante, le mystère apparaît ici presque vain, et les errances psychologiques des personnages ni effrayantes, ni dérangeantes, tout juste très bruyantes et à la limite du scatologique – on boit, on hurle, on pète, on vomit. Et, parce qu’Eggers peine à engager le spectateur avec ce qu’il raconte, sa cathédrale esthétique apparaît peu à peu dans toute ses limites. Si les émotions ne sont pas là, que reste-t-il ? La désagréable sensation qu’un talentueux cinéaste « joue » à l’expressionnisme au lieu de se l’approprier. Si bien que, dans tout son brio, THE LIGHTHOUSE apparaît au final moins singulier que THE WITCH, moins gorgé d’intentions personnelles. Même le travail sur le langage, déjà de THE WITCH, apparaît moins abouti, existant que comme gimmick et moins comme vecteur de narration et d’immersion. À tous les niveaux, le trait se fait plus grossier, engoncé dans une démonstration de force gommant toute aspérité et, en conséquent, toute réelle personnalité.

De Robert Eggers. Avec Willem Dafoe, Robert Pattinson. Etats-Unis / Canada. 1h50. Prochainement

 

 

 

 

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