UNE GRANDE FILLE : chronique

07-08-2019 - 09:42 - Par

UNE GRANDE FILLE : chronique

En 1945, à Leningrad, deux jeunes femmes tentent de reconstruire leur vie. Après TESNOTA, Kantemir Balagov confirme la singularité de son regard.

 

« Vous avez survécu, mais maintenant… » Les points de suspension, dans cette réplique d’UNE GRANDE FILLE, font tout, disent tout. Maintenant… quoi ? TESNOTA, le premier long-métrage de Kantemir Balagov, vibrait d’une énergie du désespoir dévorante face à l’adversité. Son deuxième, UNE GRANDE FILLE, est traversé par un élan de vie beaucoup plus retors. Après la guerre et le traumatisme, comment tenir ? La première heure est hantée par la mort – celle des enfants notamment, représentée ou juste verbalisée et pleurée. Le syndrome post-traumatique touche chaque personnage, de Iya, très grande fille assaillie de crises nerveuses qui la figent, à Macha, son amie revenant du front, en passant par Stepan, victime du siège de Leningrad, désormais tétraplégique. Balagov, armé de son sens du cadre irréprochable et d’un travail sur la caméra sachant insuffler du baroque dans le trivial, met en scène la mort sans crier gare – un bras qui lutte puis s’effondre, une bouche qui cesse d’aspirer la fumée d’une soufflette – car elle consomme tout, même le désir de maternité, et rôde dans chaque plan. Même si intimiste, se déroulant dans peu de décors, sans musique, même dénué d’ampleur visible (les plans larges sont rares), il se dégage de cette GRANDE FILLE un grand sens du romanesque, aussi endeuillé et contrit soit-il, à mesure que Balagov accumule les moments de vie et les petites histoires. Beaucoup passe par les regards, les silences, les sourires dignes ou tristes, les non-dits courageux ou enragés. Peut-être trop, d’ailleurs. Comme dans TESNOTA, Balagov a parfois tendance à trop étirer son récit et se perd légèrement en diluant un mystère inutile – le cœur de la psychologie très complexe, abrasive, voire cruelle, mais captivante de Macha se voit exposé d’un bloc, vers la fin, comme s’il s’agissait d’un twist artificiel. Mais en dépit de ces quelques flottements, UNE GRANDE FILLE dénote d’un talent plus que singulier : Balagov balaie ici un spectre assez exceptionnel d’émotions, il suscite le malaise, le trouble, la tendresse, l’empathie, la colère aussi. Regardant au plus profond de la souffrance de survivants, de leurs deuils impossibles – de proches ou d’une partie d’eux-mêmes –, il crée des personnages fascinants d’humanité, dans tout ce qu’ils ont de faillible et de résilient, des relations âpres animées de sentiments impossibles. « Vous avez survécu, mais maintenant… » Maintenant, quoi ? L’élan de vie, forcément. Qui peut se révéler aussi dévorant que le chaos et la mort. Mais c’est bien pour ça qu’on s’accroche au lendemain : pour enterrer le passé. 

De Kantemir Balagov. Avec Viktoria Miroshnichenko, Vasilisa Perelygina. Russie. 2h17. Sortie le 7 août

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