LES MISÉRABLES : chronique

19-11-2019 - 16:45 - Par

LES MISÉRABLES : chronique

Après avoir longtemps filmé la banlieue en documentaire (365 JOURS À CLICHY MONTFERMEIL, À VOIX HAUTE), Ladj Ly réalise une fiction-choc.

 

Ladj Ly, membre de Kourtrajmé – aux côtés de Kim Chapiron ou Romain Gavras – a aujourd’hui plus de 40 ans et ça change la donne quand on veut raconter en fiction les rapports conflictuels et incestueux entre la BAC et les cités françaises. Il ne faut pas attendre de lui, né à Montfermeil, de point de vue partisan. Sa longue expérience de témoin social lui permet de dresser un état des lieux jamais manichéen. En convoquant Victor Hugo et sa littérature humaniste, Ladj Ly fait un premier constat : il est très français de se révolter. C’est un mécanisme de défense qui vaut pour les asphyxies d’hier comme d’aujourd’hui. Avec un sang-froid qui force l’admiration, il réalise un grand film politique. Premier indice de la maturité de la démonstration : LES MISÉRABLES se raconte autant du point de vue civil que du point de vue policier. Stéphane (Damien Bonnard) vient d’une BAC de province et rejoint le groupe de Chris (Alexis Manenti) et Gwada, (Djebril Zonga) qui patrouille aux Bosquets. Le jour où « les gitans » d’un cirque itinérant viennent se plaindre en bas des tours du vol de leur lionceau, la tension grimpe. Pour mettre la banlieue sous surveillance, Ladj Ly multiplie les vues aériennes plongeantes et les plans de drone, qui quadrillent le quartier et dévoilent ses secrets les plus inavouables. Dans LES MISÉRABLES, alors qu’une bavure a été filmée, l’objectif est de survivre aux procédures de discipline et de calmer un éventuel embrasement. Difficile pour la génération des émeutes 2005 de faire comprendre aux plus jeunes qu’elle n’y a rien gagné. Mais la violence ne demande qu’à éclater. LES MISÉRABLES culmine dans son troisième acte époustouflant. Toute la nuance et l’impartialité du film sont là, dans cette montée en pression surchauffée. Bien que Ladj Ly mette tout au long du film le filtre et la distance de la fiction, évitant l’écueil du cinéma connivent, il y a cette dominance du réel, cette immersion dans des banlieues que les JT ont labélisées no go zones. Ladj Ly n’essaie pas de dépeindre une cité plus accueillante qu’elle ne l’est. Il n’en fait pas non plus une terre ultime de non-droit. Il la raconte avec une authenticité inédite. Si sa caméra est au plus près, comme une arme qui braque et extorque la vérité, certains plans relèvent de la plus flamboyante des mises en scène. Le copain Romain Gavras a souvent fantasmé des émeutes esthétiques et romanesques, pour des vedettes du hip-hop une peu déconnectées. Ladj Ly, lui, ne succombe à la spectacularisation de la révolte que pour la dénoncer comme l’ultime constat d’échec. C’est d’un aplomb et d’une maîtrise extraordinaires.

De Ladj Ly. Avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Didier Zonga. France. 1h42. Sortie le 20 novembre

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