1917 : chronique

14-01-2020 - 13:37 - Par

1917 : chronique

Écriture, mise en scène, photographie, musique, interprétation : 1917 éblouit à tous les niveaux. Un film total qui transforme un tour de force technique en outil d’immersion et d’émotions. Sidérant.

 

Avril 1917. Les forces anglaises demandent à deux soldats, Blake et Schofield, de traverser les lignes ennemies pour porter un message susceptible de sauver la vie de 1600 hommes sur le point de mener une offensive vouée à l’échec… Sam Mendes a choisi de conter 1917 en temps réel et en faux plan-séquence, sans coupe visible. Un tel dispositif présente un double danger. D’un côté, que le cinéaste finisse par filmer l’inutile, à savoir ce qu’un découpage/montage traditionnel oblitérerait. De l’autre, que la caméra prenne une place ostentatoire et devienne davantage objet de fascination qu’outil de narration. Avec élégance et maestria, 1917 surmonte ces deux potentiels écueils.

Tout d’abord parce que, même s’il s’agit d’un ‘film d’hommes en mission’, le but de la quête de Blake et Schofield ne prend jamais le pas sur les personnages. Ou du moins, les deux se retrouvent intimement liés, se nourrissant l’un l’autre. L’écriture place l’être humain au centre de toutes les préoccupations, et le script de faire des deux protagonistes – et plus largement des soldats qu’ils croisent – des vecteurs conscients ou inconscients d’histoire, d’anecdotes, de pur storytelling. Rien, dans 1917, n’apparaît inutile car, lorsque l’action se résume à deux jeunes hommes marchant dans la campagne, les mots prennent le relais et valident chaque image.

Ensuite parce que la mécanique du plan séquence n’est ici pas tant un exercice de style visuel, ni uniquement un impressionnant tour de force technique, qu’une tentative de pure narration par l’image – la caractérisation de Schofield à travers les altérations de son costume en est un exemple remarquable. La photographie de Roger Deakins, portée par un travail ahurissant de maîtrise des divers opérateurs, raconte déjà 1917. Elle cartographie le terrain (superbe plan liminaire qui part d’un champ, élargit au campement puis resserre sur la tranchée), élargit le cadre à l’infini de l’horizon pour multiplier les menaces potentielles ou enferme les protagonistes dans des cadres réifiant l’étouffante tragédie qu’ils traversent. Accélératrice d’émotions lorsqu’elle capture sans fard l’horreur, la caméra parvient pourtant à disparaître car, en créant soit la tension soit l’empathie, elle devient le regard du spectateur – qui, avec son point de vue, peut effectuer son découpage, zoomer dans le cadre, s’attarder sur un détail etc. Le spectateur devient le compagnon de Blake et Schofield, il est à leur côté, scrute chaque hypothétique danger et vit 1917 comme une expérience d’immersion totale où certaines images s’avèrent de puissants moteurs de sidération – citons l’entrée dans le No Man’s Land ou la fuite nocturne à travers un village illuminé par les flammes et les fusées éclairantes.

Sam Mendes avait fait de JARHEAD un film de non-guerre, un récit d’attente fiévreuse nourrit par l’impatience des soldats. Il aiguille 1917 sur des rails semblables – les silences et les moments de suspension sont légion – mais pour montrer des jeunes gens qui, eux, tentent de repousser la mort et la guerre, d’empêcher une offensive. Une tragédie qui prend d’autant plus d’ampleur en plan séquence, alors que les minutes s’égrènent. Parvenant lors d’une scène-clé à anéantir la frontière entre écriture et mise en scène, 1917 s’affirme comme un remarquable exercice de manipulation du temps et de la manière dont le public l’appréhende, sorte de cousin en négatif de DUNKERQUE – ils partagent d’ailleurs le même monteur, Lee Smith. Sam Mendes y apparaît en totale possession de ses moyens, alternant moments de tension pure et de poésie terrassante et propose un film de guerre réussissant à développer son propre langage de ce genre si codifié. Un très grand film.

De Sam Mendes. Avec George MacKay, Dean-Charles Chapman, Mark Strong, Colin Firth, Andrew Scott… Royaume-Uni / États-Unis. 1h59. Sortie le 15 janvier 2020

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