MARRIAGE STORY : chronique

06-12-2019 - 10:21 - Par

MARRIAGE STORY : chronique

Un uppercut de cinéma tout en nuances et délicatesse, porté par deux acteurs au sommet. La sensation rare de voir un film universel.

 

Le cinéma a toujours filmé des gens qui s’aiment. C’est facile de filmer des gens qui s’aiment. Oui mais les gens qui ne s’aiment plus ? Qui nous expliquera ce que ça fait soudain de ne plus s’aimer ? On imagine la perte, le fracas, les larmes… Vraiment ? En chantre du mumblecore – ce mouvement indé américain de la fin des années 2000 qui prônait un cinéma brut et prosaïque –, Noah Baumbach se refuse à toute caricature. Récit d’un divorce, MARRIAGE STORY est un précipité sans fard de la décomposition d’un couple. Pas de drame, pas de mélo, peu de larmes, juste l’observation à la loupe d’un instant, un moment, terrible, brutal et pourtant incroyablement simple où le « nous » devient « je ». De l’amour de Nicole et Charlie – elle actrice/muse et lui metteur en scène à succès – on ne saura quasiment rien. Ou plutôt, si. Il est là, partout, fantomatique, lointain et l’on assiste pourtant impuissant à l’effacement d’un souvenir, au remplacement d’une réalité par une autre. Pour donner de la force à son propos, pour faire de ce MARRIAGE STORY une expérience intime, universelle, Baumbach met les mains dans le quotidien. Une fois passée la fureur de la séparation, il faut donner à cette étrange idée de ne plus s’aimer la forme d’une nouvelle vie. C’est ce que capte avec délicatesse et nuance Baumbach par petites touches, de petits moments de vie, de nouvelles habitudes qui se cognent aux fantômes tristes des anciennes. L’exercice est périlleux – la simplicité lorgne toujours vers le banal – mais la maîtrise de Baumbach fait mouche. Délicatement, le film glisse d’un point de vue à l’autre et refuse les antagonismes faciles. Ces deux amoureux blessés sont tour à tour malheureux, attachants, égoïstes, inspirants, agaçants, bref profondément humains dans leurs contradictions, leurs grands moments et leurs petites faiblesses. La partition est rude pour Scarlett Johansson et Adam Driver – avec pour chacun de grands moments et des notes plus en douceur – mais le duo, porté par le regard précis de Baumbach et son sens du détail, atteint des sommets. Sur leurs visages, dans leurs regards et leurs voix qui se brisent défilent les regrets et les espoirs déçus. Qu’il ironise en filigrane sur la marche capitaliste du monde qui voit le désarroi de ces ex devenir une machine à cash (via notamment Laura Dern, fabuleuse en avocate vautour) ou qu’il dépeigne les petites vexations et grandes violences quotidiennes de devenir « l’étranger » de la famille, Baumbach nous ancre au sol, ramène toujours son récit au cœur du quotidien le plus cru, le plus banal. C’est toute la beauté cruelle et universelle de ce film délicatement déchirant, qui vous regarde éclater en sanglots en vous disant « C’est la vie ».

De Noah Baumbach. Avec Adam Driver, Scarlett Johansson, Laura Dern. États-Unis. 2h16. Sur Netflix le 6 décembre

4Etoiles

 

 

 

 

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