NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS : chronique

19-08-2020 - 08:29 - Par

NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS : chronique

Après IT FELT LIKE LOVE et BEACH RATS, Eliza Hittman évoque à nouveau la souffrance adolescente avec force réalisme social.

 

Autumn est enceinte. À 16 ans, régulièrement humiliée par un père abusif, vaguement moquée par les garçons, cette apprentie chanteuse réalise que si elle veut avorter, dans ce patelin de Pennsylvanie où elle vit, il lui faudra l’autorisation de ses parents. Accompagnée par sa cousine Skylar, avec qui elle travaille dans un supermarché, elle prend le car qui la mène à New York à des centaines de kilomètres de là, où une clinique la prendra en charge en toute discrétion. Autumn (l’impassible Sidney Flanigan) représente toutes ces jeunes filles qui, aujourd’hui, aux États-Unis, sont les laissées pour compte du progressisme, parce qu’elles sont mal informées ou mal accompagnées dans ce pays trop grand, aux disparités sociales spectaculaires. Elle est une héroïne typiquement « hittmanienne » : l’adolescence est introvertie, le corps un peu embarrassant, le visage frondeur pour masquer une profonde douleur. Mais si Lila (IT FELT LIKE LOVE) et Frankie (BEACH RATS) nourrissaient une certaine honte d’eux-mêmes, la souffrance d’Autumn n’est pas tant auto-infligée qu’elle n’est le fruit d’un système bien rôdé. D’autant plus aujourd’hui où Trump revendique une certaine misogynie et que le droit à l’avortement est remis en cause dans plusieurs États, le film témoigne de la difficulté des femmes à disposer de leur corps parce que la machine des soins s’est enrayée sous le coup de la volonté politique. Déserts médicaux, absence de couverture universelle : tout est mis en œuvre pour que les plus fragiles ne jouissent d’aucune autonomie. C’est ce que montre Eliza Hittman en mettant sur la route de sa jeune protagoniste moult obstacles psychologiques et physiques. Avec Skylar, elles sont deux filles dégourdies qui crapahutent dans New York, franchissent des tourniquets, hissent leur lourde valise en haut de grands escaliers (on pense aux héroïnes actives du cinéma des frères Dardenne), restent éveillées la nuit faute de logement et finissent liées par une complicité entendue. Ayant rencontré un jeune homme qui drague un peu Skylar, elles doivent se méfier des intentions de cet allié. Déjà à leur âge, elles connaissent la concupiscence dont font preuve certains hommes : leur propre patron au supermarché est un porc. Ces deux guerrières imperturbables face à la violence du monde et du patriarcat ne flanchent que d’épuisement. NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS, lové dans la chaleur de sa pellicule, hurle de détresse, pleure une peine profonde, sourit de ses rares victoires mais jamais ne cède à la facilité des récits d’apprentissage calibrés de la scène indé américaine. C’est un grand film qui célèbre la force des résistantes d’aujourd’hui.

D’Eliza Hittman. Avec Sidney Flanigan, Talia Ryder, Théodore Pellerin. États-Unis. 1h41. Sortie le 19 août

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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