EFFACER L’HISTORIQUE : chronique

26-08-2020 - 10:09 - Par

EFFACER L’HISTORIQUE : chronique

Le duo Kervern / Délepine ausculte l’ultra moderne solitude de nos mondes connectés avec un mélange de mordant et de tendresse. Ça pique mais c’est bon.

 

Le cinéma de Kervern et Delépine bouscule depuis presque 20 ans maintenant la comédie traditionnelle à la française. Humour à froid, plans fixes, personnages borderline et situations mi-scabreuses mi-poétiques : leur cinéma cherche le rire là où ça fait un peu mal, là où c’est un peu bizarre, là où ça ne rentre pas dans les cases. De AALTRA à LOUISE MICHEL en passant par SAINT AMOUR ou I FEEL GOOD, leur filmo dessine le portrait joyeux et terrible d’un ras le bol. Leur nouveau long, EFFACER L’HISTORIQUE, ressemble alors à leur chef-d’œuvre. Parce qu’au fond, cette odyssée sur place d’une bande de citadins épuisés par la vie numérique ne raconte que ça. Ras le bol ! La coupe est pleine, les gouttes continuent de tomber et bientôt, forcément ça va déborder. Judicieusement, le film commence juste avant l’effondrement, juste avant que les personnages ne craquent complètement. Dans de petites saynètes, le duo capte l’époque et ses absurdités – de l’uberisation de tout (hilarante scène du livreur épuisé) aux cauchemars des nouvelles technologies incompréhensibles. On rit beaucoup, forcément, devant ce miroir à peine déformant de notre monde. Mais ce « BLACK MIRROR » a l’intelligence de ne jamais transformer ses trois héros (Bruno Podalydès, Blanche Gardin, Corinne Masiero, parfaits clowns tragi-comiques) en rats d’un laboratoire de cinéma sadique. C’est nous que visent Kervern et Delépine, nous qu’ils regardent à travers leur comédie. Refusant l’efficacité toute-puissante du gag, les deux auteurs-réalisateurs font durer le plan, vont chercher l’humain là où il ne pourrait y avoir plus que de la mécanique. On riait et soudain on est ému, gêné, touché, dérangé de ces situations ubuesques qui avilissent et épuisent l’âme. Il y a des moments de profonde solitude dans cette comédie tordante, de vrais drames qui se jouent là dans les recoins du quotidien. Des moments sidérants qui bousculent. La colère qui s’empare des personnages devient contagieuse. Mais les deux auteurs nuancent avec intelligence la balance entre film défouloir et justesse du propos. Que peut vraiment la colère ? EFFACER L’HISTORIQUE est un cauchemar bien réel, un film catastrophe dont nous serions malgré nous les tristes héros. Alors, rire chez Kervern et Delépine n’aura jamais été aussi urgent. Et pourquoi pas, le début d’une solution.

De Gustave Kervern et Benoît Delépine. Avec Bruno Podalydès, Blanche Gardin, Corinne Masiero. France. 1h46. Sortie le 26 août

4Etoiles

 

 

 

 

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