HIS HOUSE : ET SI ON VOUS PRÉSENTAIT REMI WEEKES ?

30-10-2020 - 09:49 - Par

HIS HOUSE : ET SI ON VOUS PRÉSENTAIT REMI WEEKES ?

Il mêle un réalisme tout britannique au surnaturel et à la politique. Il serait le nouveau rejeton parfait de l’ »elevated horror » si lui-même ne trouvait pas ce terme un peu snob à l’égard de ce cinéma de genre qu’il aime tant. En racontant dans HIS HOUSE l’expérience et la douleur psychologiques de deux réfugiés soudanais dans une ville paumée d’Angleterre, Remi Weekes impose un cinéma mutant et spectaculaire. Portrait d’un réalisateur très prometteur.

 

« Elevated horror ». « L’horreur supérieure », si l’on traduit bien. Malin, avec les influences et les acteurs qui vont bien. HÉRÉDITÉ de Ari Aster. UNDER THE SKIN de Jonathan Glazer. THE VVITCH de Robert Eggers. Vous voyez ? « Je comprends pourquoi on utilise ce terme. Ça vient du fait que l’horreur, c’est un genre que les gens trouvent un peu embarrassant, comme la comédie. Dire qu’elle est ‘supérieure’ donne l’autorisation d’aimer ça. Pour quelqu’un comme moi qui apprécie les choses aussi simples que plus sophistiquées, c’est une distinction qui n’a pas lieu d’être. » Pourtant HIS HOUSE, le premier long-métrage de Remi Weekes, pourrait bien s’inscrire au côté des prestigieux titres d’ »horreur supérieure » que l’on vient de citer. Un film de fantômes et de monstres, qui évoque l’immigration clandestine et l’accueil plutôt frisquet que l’Angleterre lui réserve. Plus particulièrement, un couple de Soudanais tente de faire sa place au Royaume-Uni. Après un an en foyer, Bol (Sope Dirisu) et Rial (Wunmi Mosaku) se voient enfin attribuer le statut de demandeurs d’asile. Le gouvernement les installe dans une maison, au cœur d’une ville dortoir pas très accueillante qu’ils n’ont pas le droit de quitter. Mais les murs commencent à se réveiller ; des fantômes surgissent, dont celui de leur petite fille, morte en mer alors qu’ils rejoignaient l’Europe. Si Bol pense que l’assimilation sera la réponse à toutes leurs difficultés, Rial veut d’abord régler ses comptes avec les esprits.

Son précédent film, le court-métrage TICKLE MONSTER (à voir en fin d’article), suit, dans une chambrée d’ados, un jeune garçon composer un morceau de rap. Mais sa concentration est perturbée par une main qui lui chatouille le cou. Sa coloc accuse le monstre chatouilleur de se cacher dans un recoin de la pièce. Comme dans HIS HOUSE, le socio-réalisme y cohabite parfaitement avec le cinéma d’horreur. « J’adore les deux, confie-t-il. Très jeune, j’ai abandonné l’idée de privilégier l’un ou l’autre. Et j’ai décidé que je pouvais aimer Michael Haneke et Wes Craven en même temps. » Ce n’est évidemment pas le premier à tenter ce mariage a priori contre-nature. La série BLACK MIRROR, dont on oublie trop souvent les origines européennes, a parfaitement réussi à mêler la culture urbaine et rurale anglaise au récit de genre. Et même avant elle, Joe Cornish avait, dans son formidable ATTACK THE BLOCK, marié le fantastique et le social. « Même si tout ça a pu aider, je crois surtout que HIS HOUSE existe grâce au soutien de gens dans l’industrie qui ont cru en moi et ont parié sur moi », tranche-t-il avant d’avouer que GET OUT, le parangon de l’ »elevated horror », et son succès commercial ont rendu les choses plus simples quand il a fallu solliciter de l’argent ici et là. La « Black horror », qui évoque le cinéma d’horreur raconté par la perspective noire, est souvent associée aux États-Unis et aux traumas afro-américains. HIS HOUSE en serait l’équivalent anglais. Et ce qu’il a de très européen, c’est sa manière de prendre le racisme – qui inspire en grande partie la « Black horror » – pour le nourrir d’une dimension supplémentaire que revêt le rejet de l’autre. Dans HIS HOUSE, Bol et Rial sont ostracisés par l’Angleterre blanche d’un côté, mais tout aussi rejetés par de jeunes lads afro-descendants. « Le tribalisme, c’est compliqué. Les médias en parlent souvent en termes extrêmement manichéens. Les Anglais, surtout au tournant du siècle, ont eu des politiques migratoires étranges et vous pourriez penser que certaines personnes se rangeraient du côté des migrants quand en fait, ils prennent des positions complètement opposées. Je voulais raconter ça d’un point de vue britannique et observer les dynamiques que j’ai ressenties en grandissant. » Un cinéma personnel et ultramoderne dans son prisme politique.

Remi Weekes est cofondateur de Tell No One, un studio spécialisé dans l’expérimental qui l’a amené à réaliser des pubs pour H&M ou la marque Alexander Wang. Son travail de vidéaste a été exposé du Guggenheim au British Film Institute. Son court-métrage TICKLE MONSTER provient, lui, d’une commande de Film4. La société de production « demandait à de jeunes réalisateurs s’ils avaient des idées pour des petits programmes de cinq minutes que Channel4 (qui appartient à Film4, ndlr) pourrait diffuser pendant Halloween, nous explique-t-il. Et moi j’ai eu cette idée. » Au-delà des écrans britanniques, TICKLE MONSTER est surtout projeté au très hype Festival d’Austin, le SXSW. Alors que TICKLE MONSTER cartonne, il finit de coucher sur papier son futur HIS HOUSE. Quand il faut prospecter et démarcher, il a déjà « le court-métrage à montrer. Il prouvait que je savais à peu près faire des plans avec une caméra. (Rires.) » Et surtout, il donnait une bonne idée de l’univers de Remi, où la magie, les légendes ancestrales et des monstres nouveaux viennent faire irruption dans la banalité du quotidien. Une influence qu’il puise sur un autre continent. « À chaque fois que je séjourne en Afrique, j’adore regarder les films de Nollywood. Ou Africa Magic, une chaîne qui diffuse des soap operas africains. Mais des soaps avec des sorcières, des démons, des fantômes, des gens qui lancent des sortilèges. Ce n’est pas d’une qualité exceptionnelle, le son n’est pas très bien monté, et l’acting laisse parfois à désirer. Mais c’est fun. J’ai toujours aimé ça. » Remi Weekes a fait de l’Angleterre le pays émergent de la « Black horror ». Mais l’industrie britannique, toujours un peu coincée entre Ken Loach et DOWNTON ABBEY, est-elle vraiment prête à lui donner librement la parole ? « Historiquement, c’est une industrie qui peut être assez rigide et il faut peut-être convaincre davantage afin qu’on puisse raconter des histoires avec des points de vue alternatifs. En tout cas, je sais que la nouvelle administration de la BBC veut investir dans des points de vue plus divers. » Et puis comme « son imagination va plus vite que [lui] » et qu’il « ne tient pas en place », il pourra toujours tenter sa chance en Amérique. Netflix, qui a acquis HIS HOUSE au dernier Festival de Sundance contre un chèque à huit chiffres, lui offre déjà une visibilité internationale sans pareil et la très grosse agence hollywoodienne CAA l’a signé comme client il y a quelques mois. Ce n’est pas tant le cinéma anglais qui a gagné un petit génie que le monde entier.

HIS HOUSE. Sur Netflix. Lire notre critique

 

 

 

 

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