GAGARINE : chronique

22-06-2021 - 17:33 - Par

GAGARINE : chronique

Entre le bitume et les étoiles, du cinéma français social qui aime les belles images et les beaux personnages. Fantastique.

 

Est-ce une spécificité française de baptiser des quartiers, des cités, du nom de combattants, de lumières, d’explorateurs pour ensuite laisser les lieux à l’abandon, se débrouiller seuls avec leurs écrasants patronymes ? La cité Gagarine inaugurée à Ivry, ville communiste, par le cosmonaute russe en 1963 devait symboliser l’urbanisme visionnaire à la française, la naissance des nouveaux quartiers populaires. Le bond entre les images documentaires d’époque (qui ouvrent le film) et celles d’aujourd’hui parle de lui-même : la politique des banlieues, c’est celle d’avoir laissé livrées à elles-mêmes des centaines de familles, pour beaucoup issues de l’immigration. Si les résidents se sont approprié ces barres d’immeubles, en en faisant ainsi un lieu chaleureux du vivre ensemble, l’état général les force à abdiquer : la prochaine visite sanitaire sonnera le glas de Gagarine. Les habitants vont être expulsés, pas forcément relogés, et la cité résidentielle va être démolie. Mais l’un d’eux mène la résistance : Youri, 16 ans, (impressionnant Alséni Bathily) qui a toujours vécu ici. Délaissé par sa mère, il a fait de ses voisins sa famille. Lui qui veut être cosmonaute, comme celui qui lui a légué son prénom, va alors tenter de sauver Gagarine, armé de la science et de son enthousiasme. Il répare les ascenseurs comme un aventurier de l’espace bricolerait sa navette, il se fait son vaisseau quand tout autour de lui, on démantèle Gagarine bout par bout. Loin des timidités de ce cinéma de genre qui n’a de genre qu’une ligne de synopsis et touche le fantastique seulement du bout des doigts, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh inscrivent leur film autant dans l’héritage français social que dans la lignée d’un cinéma de science-fiction beaucoup plus spectaculaire. Émaillé d’hommages directs à Steven Spielberg (RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE) ou à Joe Cornish (ATTACK THE BLOCK), GAGARINE parie moins sur les allégories que sur la force des images fantastiques et trace une voie de communication directe entre les cités-dortoirs bétonnées et les étoiles. En mettant en perspective les destructions des camps roms avec la démolition de la cité, les réalisateurs dressent un portrait de la France comme une planète qui se désagrège, repoussant toujours plus loin ceux qui l’habitent vers d’autres frontières. Au-delà de la politique, GAGARINE reste un récit d’apprentissage bouleversant. Car si Youri ne veut pas céder sa cité aux pelleteuses, c’est qu’il s’accroche à son enfance et aux rêves de ses parents. Il ignore juste pour le moment que le nuage de poussière de Gagarine qui tombe, c’est un peu comme celui d’une fusée qui décolle. Un parallèle d’une poésie déchirante pour un film extraordinaire. 

De Fanny Liatard et Jérémy Trouilh. Avec Alséni Bathily, Lyna Khoudri, Jamil McCraven. France. 1h35. En salles le 23 juin

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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