Cannes 2021 : ANNETTE / Critique

06-07-2021 - 21:45 - Par

Cannes 2021 : ANNETTE / Critique

De Leos Carax. Sélection Officielle. Compétition. Film d’ouverture.

 

La rencontre furibarde entre Sparks et Leos Carax, de l’opéra-cinéma radical, déroutant, dont la noirceur et la beauté hantent longtemps.

Dans son précédent film, HOLY MOTORS, Leos Carax s’interrogeait sur ce qu’il restait au cinéma de la beauté du geste. ANNETTE en est la démonstration fabuleuse. Une déflagration de cinéma, un geste total, une ambition radicale, un film qui croit (ou plutôt espère) que son spectateur pourra le suivre. Leos Carax a quelque chose de Lewis Carroll. Rentrer dans son cinéma revient à suivre le lapin blanc d’Alice et plonger dans le terrier. Si HOLY MOTORS était une pause introspective pour un cinéaste inquiet, ANNETTE est lui une déclaration de guerre, un feu d’artifice qui fait feu de tout bois, un film qui se consume devant nous. L’étincelle, c’est d’abord celle de Sparks, groupe iconoclaste rock qui offre à Carax une anti-comédie musicale. ANNETTE n’est pas un film à tubes, c’est au contraire un film tordu dont la musique s’étire, revient, repart, louvoie entre le chant, la plainte et les envolées rythmées. Pas étonnant que Carax remercie au générique Stephen Sondheim, le grand compositeur et réinventeur de la comédie musicale moderne (« Sweeney Todd », « Sunday in the Park with George »). Chez Sondheim comme dans ANNETTE, le lyrisme est fou, il domine tout, survient n’importe quand, n’importe où et surtout mélange l’intime et le récit, le personnage et son commentaire, le réel et l’imaginaire. Dans les mains d’un cinéaste comme Carax, ce lyrisme devient une façon de déconstruire le cinéma, de toucher à l’émotion brute et de bousculer l’œil et le cœur du spectateur. Il filme le monde d’ANNETTE, l’histoire d’amour entre un comique provoc’ et une cantatrice révérée, comme on ouvre un grimoire inquiétant pour raconter une histoire qui fait peur. Saturant l’image de vert, le film oscille entre toutes les teintes – de l’espérance possible au glauque assumé –, et toutes les tonalités – de la romance féérique au fait divers hyper contemporain. Le film nous aspire, nous entraîne dans sa noirceur et nous perd volontairement comme dans un songe qui se révèlerait être un cauchemar. Pourtant, la scène d’introduction (extraordinaire morceau de bravoure méta très proche de HOLY MOTORS) nous avait prévenu. « So may we start ? ». Une demande polie comme pour s’assurer que tout le monde est bien accroché. Entre les pattes d’Adam Driver (génial, et le mot est faible), on est chahuté, bousculé, terrifié. Avec ANNETTE, Carax filme la mise à mort de la poésie, le laideur du cynisme, la cruauté d’un monde où tout n’est qu’image, avec une ardeur de mise en scène jusqu’à l’épuisement – du beau, des personnages, du spectateur.

De Leos Carax. Avec Adam Driver, Marion Cotillard, Simon Helberg. France / États-Unis. 2h20 

 

 

 

 

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