Cannes 2021 : TITANE / Critique

13-07-2021 - 23:45 - Par

Cannes 2021 : TITANE / Critique

De Julia Ducournau. Sélection officielle, Compétition.

 

Après GRAVE, le retour furieux de Julia Ducournau.  Du cinéma mutant qui triture les genres, les corps et les identités. Forcément instable mais toujours passionnant. (Critique sans spoiler)

On se souviendra toujours de TITANE comme l’après GRAVE. Sûrement parce qu’il est profondément et viscéralement un film de l’après, un « deuz’ » comme on dirait dans une fratrie. Comment trouver sa place quand elle est déjà occupée ? Comment sortir du modèle qu’on a imposé ? Julia Ducournau répond à toutes ces interrogations par un film hybride, un film de mue où personnage, film et spectateur passent par tous les états, toutes les identités. S’ouvrant sur une folle scène de voiture où la tension naturaliste vient s’entrechoquer avec l’étrange, le film mute déjà soudainement après son générique vers une imagerie choc tout en néon et grosses bagnoles. Dans un plan-séquence phénoménal, Julia Ducournau nous en met plein la vue. Alexia (impressionnante Agathe Rousselle, qui donne tout) danse sur le capot d’une voiture, sous les flashs et les regards concupiscents. Ducournau filme cette exhibition avec toute la sueur, toute la fièvre qu’il faut pour provoquer d’emblée le malaise et l’exaltation. Mais ce n’est que le début. Très vite le film mute à nouveau, surprend, dégoûte, nous largue aussi un peu entre les tonalités – poussant le genre jusqu’à la limite de l’absurde, voire de la parodie. C’est comme si Ducournau exorcisait le choc de GRAVE, son goût du body horror, de l’humour noir et des humeurs vitreuses de personnages torves. D’un geste symbolique (on ne dira pas lequel, pour préserver tout le plaisir de ce grand-huit), elle fout le feu à GRAVE et soudain TITANE et son héroïne s’échappent vers une nouvelle identité, son identité. Là, commence alors vraiment TITANE. Délesté de son envie de nous plaire – même par le choc – il prend une tournure étonnante, très intime. Un quasi huis-clos entre Agathe Rousselle et Vincent Lindon, inattendu et pourtant parfaitement à sa place en pompier névrosé. Alors qu’il cherchait à nous horrifier au début, ce second film étrangement plus calme n’en est que plus horrifique.

Avec une science rare de la mise en scène (trouvera-t-on film bardé de plus de plans mémorables et physiques cette année ?) Ducournau ausculte les corps blessés, les âmes tordues et touche à l’universel. TITANE devient un grand film d’amour étrange – toujours bizarre, toujours à la limite du bon goût – et offre des images profondément queer et marquantes (Vincent Lindon qui danse au milieu des pompiers, troublant et sexy, qui l’aurait cru ?). Mais comme dans les montagnes russes, le freinage est difficile et la poussée de départ se fait sentir. Le virage final du récit – mutation extrême d’un film qui avait pourtant peut-être trouvé son identité – retombe un peu dans la facilité d’un cinéma choc, là où précédemment il avait su trouver sa force par son étrange douceur. La scène est belle, mémorable, puissante même, mais elle assène à grands coups d’imagerie ce que le film avait su dire dans ses silences et ses regards. À défaut de faire totalement corps avec le film – comme on avait pu l’expérimenter avec GRAVE –, on est toujours un peu inquiet de ce qu’il va devenir, de là où il nous emmène, comme si on attendait sans cesse qu’il fasse vraiment les présentations. Une expérience étrange, désagréable pour amateurs de cinéma rectiligne, jouissive pour ceux qui goûtent au désordre et vivent le cinéma comme décharge d’émotion et d’adrénaline. Reste la beauté folle, totale, d’un cinéma qui prend tous les risques – même celui de déplaire ou de s’égarer – et qui dans ce mouvement permanent, cette (ré)invention constante de soi, charrie avec lui des êtres, des sentiments et des images inoubliables.

De Julia Ducournau. Avec Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier. France. 1h48. En salles le 14 juillet

 

 

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