Cannes 2021 : TROMPERIE / Critique

13-07-2021 - 23:00 - Par

Cannes 2021 : TROMPERIE / Critique

D’Arnaud Desplechin. Sélection officielle, Cannes Première.

 

Synopsis officiel : Londres – 1987. Philip est un écrivain américain célèbre exilé à Londres. Sa maîtresse vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants. Ils y font l’amour, se disputent, se retrouvent et parlent des heures durant ; des femmes qui jalonnent sa vie, de sexe, d’antisémitisme, de littérature, et de fidélité à soi-même…

 

La rencontre au sommet entre Philip Roth et Arnaud Desplechin. Magistral.

Il était évident que ces deux-là avaient plein de choses à se raconter. Philip Roth, le grand écrivain névrosé du désir et de l’ego. Arnaud Desplechin, le cinéaste du romanesque amoureux et du chaos intime. Adaptation du roman de l’un, TROMPERIE en est pourtant la quintessence de l’autre. Comme s’il y avait autant de Roth dans Desplechin que de Desplechin dans Roth. Mais c’est tout le sujet de ce film de chambre, ce film d’écrivain où la parole lie et délie les êtres, les invente ou les font disparaître. Découpé en chapitres, le film égrène le carnet d’adresse d’un écrivain au travail, des femmes qu’il aime, qu’il a aimées ou qu’il aimerait aimer. Au centre, une aventure avec une jeune femme mariée, une passion à la fois cérébrale et charnelle où le désir des mots jouit du désir des corps. Léa Seydoux, tout en tension, fait vibrer ce personnage d’un romanesque inquiet. Chaque mot, chaque regard pourrait déraper vers le drame. Et c’est là toute la beauté de cet opus étrange.

Quelque part entre l’exercice de style et l’autoportrait trompeur, Desplechin stylise ces rendez-vous et cette histoire à l’extrême. Plus que jamais ici, tout est cinéma chez lui, et surtout l’intime. Lumières expressionnistes, plans de mélodrame, décors artificiels : par petites touches, Desplechin décale le naturalisme et sème le trouble. Le film devient alors un pacte de croyance, un désir fou de cinéma où l’on jubile de voir apparaître Emmanuelle Devos en ex-amante au téléphone ou la géniale Rebecca Marder dans une magnifique scène d’anti-drague tendue et troublante et la très juste Anouk Grinberg, en femme dévastée et perdue entre le vrai et le faux. Un ballet d’actrices et de personnages qui compose autant un portrait de ce héros écrivain minable (double de Roth) qu’un portrait en creux du cinéma de Desplechin. En double de Roth, Denis Podalydès a le sens du mot et l’ironie inquiétante. Capable d’être aussi désirable que minable, charismatique qu’apathique, il apporte au cinéma de Desplechin une autre forme d’alter-ego que celle souvent proposée par Mathieu Amalric. Un double plus réaliste peut-être, moins héroïque, moins démesuré et pourtant tout aussi traversé de la fièvre et la verve des personnages du cinéaste. Un miroir d’autant plus proche qu’il pourrait être trompeur.

Stylistiquement sublime, à la fois incarné et inventif, le film floute très vite les contours du récit, la véracité de ce que l’on voit, le naturalisme des personnages, et nous impose de le suivre. À la manière des derniers beaux films d’Alain Resnais (VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU, AIMER BOIRE ET CHANTER), Arnaud Desplechin utilise le roman de Roth comme une forme d’art poétique de son travail cinématographique. Le faux pour dire le vrai, le vrai pour dire le faux, le désir des corps par les mots, le romanesque comme seule façon de vivre intensément. Petit à petit, le film révèle dans ses chausse-trappes et ses jeux de miroir, tout un programme du cinéma de Desplechin depuis LA SENTINELLE et COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ. Bien sûr, c’est peut-être un film pour les amoureux du réalisateur. Bien sûr, TROMPERIE n’a pas la fougue et la profondeur d’UN CONTE DE NOËL, son chef-d’œuvre. Mais pourtant, il y a dans cette récréation de cinéma, ce pas de côté dans ceux de Roth, quelque chose de profondément jubilatoire et émouvant. TROMPERIE témoigne du goût du cinéma de Desplechin, son amour du cadre, du montage, du récit et des personnages. Une façon de parler de soi à travers les autres, de fabriquer le monde pour peut-être mieux le comprendre. Et se comprendre.

D’Arnaud Desplechin. Avec Denis Podalydès, Léa Seydoux, Emmanuelle Devos. France. En salles le 8 décembre

 

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