Cannes 2021 : THE INNOCENTS / Critique

11-07-2021 - 13:20 - Par

Cannes 2021 : THE INNOCENTS / Critique

D’Eskil Vogt. Sélection officielle, Un Certain Regard.

 

De tous les films de Joachim Trier, THELMA est sans doute le moins célébré, alors qu’il y délivrait une proposition de cinéma de genre à la fois extrêmement accessible et totalement singulière, satisfaisant tous les tenants habituels de son travail. Au scénario, on y trouvait Eskil Vogt, son co-auteur historique – qui livre d’ailleurs le script de JULIE EN 12 CHAPITRES, dernier né de Trier, lui aussi à Cannes cette année, mais en compétition. L’excitation de voir Vogt réaliser son propre film fantastique était donc grande. Le résultat excède ces attentes. Ida, sa sœur Anna, autiste, et leurs parents s’installent dans un nouveau quartier. C’est l’été. Ida craint de ne pas se faire d’amis. Puis elle rencontre Ben, qui révèle de petits pouvoirs télékinétiques. Et Aisha qui, inexplicablement, entend toutes les pensées d’Anna… Avec THE INNOCENTS, Eskil Vogt a l’ambition de livrer une étude rêche et sans complaisance de l’enfance à travers le prisme d’un fantastique empruntant aux récits super-héroïques. Sorte de rejeton de « La Nuit des enfants rois » et INCASSABLE, THE INNOCENTS choisit le point de vue d’Ida, gamine assez mal vissée, mélancolique et agacée par l’attention que reçoit sa grande sœur. Ida peste. Ida grogne. Ida écrase des lombrics. Ida ferait une excellente méchante. Mais ce n’est pas du tout l’histoire que Vogt veut raconter. Ce serait trop simple, voire simpliste. THE INNOCENTS s’intéresse à un passage à l’âge adulte extrêmement précoce qui, chez Ida, va durer un été et la mener à confronter les pouvoirs de ces gamins qu’elle côtoie. Le cinéaste construit dès le départ une ambiance pesante et étrange, instituant un malaise indéfinissable, presque abstrait. Les scènes se succèdent, certaines d’une noirceur voire d’une violence assez folle et réifient à l’écran tout un magma d’émotions cruelles qui bouillonnent chez des gosses rongés par le ressentiment créé en eux par le rejet, par leur différence, par leurs petites frustrations quotidiennes. La caméra est lourde, ses mouvements lents, et met en scène avec un calme précis la dangerosité des enjeux – cet édifice servi par un quatuor de jeunes acteurs magistralement dirigés. Alors que la tension monte et qu’il a happé le spectateur, THE INNOCENTS pourrait dériver vers des recettes plus faciles ou complaisantes mais au contraire, ne cesse de surprendre. L’intrigue reste imprévisible et le récit de s’autoriser une horreur quotidienne mais graphique inattendue, tout en évitant soigneusement la spectacularisation. Y compris dans ses derniers moments de bravoure, où l’intimisme l’emporte sur la pyrotechnie. Tout comme dans THELMA, Vogt creuse toutes les pistes narratives et honore jusqu’au bout le point de vue choisi : celui d’enfants qui devraient être protégés des questions morales mais doivent déjà choisir entre le bien et le mal. Très fort.

D’Eskil Vogt. Avec Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Sam Ashraf, Mina Yasmin Bremseth Asheim. Norvège. 2h. Prochainement

 

Innocents1

Innocents2

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.