Cannes 2021 : SUPRÊMES / Critique

11-07-2021 - 08:00 - Par

Cannes 2021 : SUPRÊMES / Critique

D’Audrey Estrougo. Sélection officielle, séances de minuit.

 

Synopsis officiel : 1989. Dans les cités déshéritées du 93, une bande de copains trouve un moyen d’expression grâce au mouvement hip-hop tout juste arrivé en France. Après la danse et le graff, JoeyStarr et Kool Shen se mettent à écrire des textes de rap imprégnés par la colère qui couve dans les banlieues. Leurs rythmes enfiévrés et leurs textes révoltés ne tardent pas à galvaniser les foules et … à se heurter aux autorités. Mais peu importe, le Suprême NTM est né et avec lui le rap français fait des débuts fracassants !

 

Pour bien retranscrire ce qu’on a ressenti devant SUPRÊMES, il nous faudrait un Powerpoint, avec des colonnes pour et des colonnes contre, lister ce qu’Audrey Estrougo réussit parfaitement d’un côté et beaucoup moins bien de l’autre. Un savant exercice mathématique de calcul de points qui rendrait compte peut-être ou peut-être pas de la drôle d’impression positive qu’on garde du film alors qu’il nous a semblé être raté. Estrougo doit tout à ses acteurs. Tout. L’énergie, l’émotion, le charme. La partition de Sandor Funtek est peut-être plus discrète que celle stratosphérique de Théo Christine – Kool Shen ayant toujours été moins flamboyant que le chien fou Joeystarr –, mais l’alchimie qui se dégage quand les deux comédiens se donnent la réplique n’a d’égale que la justesse de chacune des interprétations et l’émotion qui en émane. Au-delà d’une ressemblance physique – qui ne joue jamais le jeu un peu facile du mimétisme –, Funtek et Christine créent deux vrais personnages, leur donnent une identité propre, du cœur au-delà de leur statut de stars. On redécouvre Kool Shen, comme un enfant de la classe populaire, un besogneux et un génie des mots. On perce à jour un Joeystarr, fils d’un père abusif, en quête d’une mère disparue et qui trouvera dans la musique une résilience. Audrey Estrougo limite son biopic à trois ans. L’histoire de NTM est donc racontée entre ses tout débuts sur des scènes ouvertes entre 1989 et 1992, l’ascension grâce à la vision de Sébastien Farran, leur manager. SUPRÊMES ne débat donc pas de l’effet du succès – et des controverses – mais se veut être un retour aux années puristes, une origin story.

Mais que racontent exactement ces années de NTM ? Impossible de le savoir : aucun point de vue n’est posé sur le groupe, ni sur son ascension. Audrey Estrougo a voulu tout traiter comme une page Wikipedia veut tout retranscrire. Les fondements de l’amitié entre Kool Shen et Joeystarr ? Survolés. Leur engagement social ? Effleuré, si bien qu’il y a un flou sur leur motivation politique ou, au contraire, le refus d’être des porte-parole – alors qu’on est en pleine époque Malik Oussekine. Le sacrifice de la communauté qui les a portés sur l’autel du succès ? Montré, le temps d’une scène, mais jamais analysé d’une manière morale ou déontologique. Tous les sujets de fond, qui pourraient apporter un éclairage sociologique, sont écartés ; Audrey Estrougo pioche dans des thématiques qu’elle traite scène après scène. Manquant de liant et cruellement de romanesque, le film peut aussi réduire certains personnages à leur utilité narrative : ainsi le personnage de Farran va et vient au gré des besoins narratifs, alignant les répliques fonctionnelles. Pourtant, que le groupe, modèle de contre-culture, soit né grâce à un attaché de presse de Jean-Paul Gaultier puis modelé et managé par un jeune loup des beaux quartiers n’est pas anodin, mais la réalisatrice n’en déduit rien du marketing du rap de l’époque. Que des punks antisociaux admirent le discours anticapitaliste de NTM le temps d’une scène didactique, c’est le maximum de ce qu’elle a à dire sur la convergence des luttes. Adoubé par les vrais Joeystarr et Kool Shen, le film est toujours sous contrôle, jamais libre d’une mise en perspective. C’est donc la limite de SUPRÊMES : il n’est jamais à la hauteur du miracle accompli par ses comédiens qui ont eu, eux, l’intelligence et le talent de marier déférence et appropriation. Deux stars are born.

D’Audrey Estrougo. Avec Théo Christine, Sandor Funtek. France. 1h52. En salles le 24 novembre

3Etoiles

 

 

 

 

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