Cannes 2021 : ORANGES SANGUINES / Critique

11-07-2021 - 22:33 - Par

Cannes 2021 : ORANGES SANGUINES / Critique

De Jean-Christophe Meurisse. Sélection officielle, Séance de minuit.

 

Jean-Christophe Meurisse lâche les chiens avec une satire acide sur l’époque qui vire au film d’horreur tétanisant. Attention, ça secoue.

Âmes sensibles, s’abstenir. La formule est connue mais elle est ici à prendre au sérieux. ORANGES SANGUINES n’est vraiment pas un film pour tout le monde et surtout toutes les sensibilités. On connait Meurisse et sa troupe des Chiens de Navarre, capable sur scène de taper avec un humour radical là où ça fait mal. Mais cette fois-ci, il tape fort avec l’envie de faire mal. ORANGES SANGUINES est comme la synthèse des deux premiers films de Meurisse : d’un côté la logorrhée absurde et sarcastique d’APNÉE, de l’autre l’étrangeté cruelle et morbide d’IL EST DES NÔTRES. Tout ça dopé à la colère noire, très noire face à l’époque.

Récit éclaté en plusieurs personnages (un couple de retraité endetté qui espère gagner un concours de rock, leurs fils assistant d’un avocat libidineux, le ministre de l’économie en pleine évasion fiscale et une jeune fille en attente de sa première fois), le film tisse au départ un état des lieux très « Chiens de Navarre » de la France contemporaine. Des gens qui s’engueulent sur tous les sujets, la politique partout, le politiquement correct (vs) le politiquement incorrect, tout ça dans un grand mouvement immobile où personnages et situations s’enlisent avec malaise dans du sur-place. Meurisse a le sens de l’incongru et sa troupe (Alexandre Steiger en tête) sait mieux que personne jouer de l’étirement des situations jusqu’à l’acide, pousser le sourire jusqu’à la grimace (une mémorable scène de parodie d’émission politique « à la cool ») ou à la bêtise (un shooting photo hilarant). Un défouloir bête et méchant, pensé comme tel, comme une provocation joueuse, un doigt d’honneur à la bienséance pour la blague.

Mais petit à petit on sent le film moins efficace, plus inquiet que drôle et tandis qu’apparaît sur l’écran une citation d’Antonio Gramsci, le film s’enfonce dans la nuit et réveille les monstres. Alors le film se mue en terreur totale. Comme l’envers de ce rire permanent qui fait passer la pilule de tout, Meurisse révèle une face monstrueuse et tétanisante. Très inspiré par le cinéma du Nouvel Hollywood (TAXI DRIVER cité ouvertement et ironiquement), ORANGES SANGUINES dégueule les monstres de la France d’aujourd’hui dans une colère outrancière où le rire n’a plus sa place. Le geste provocateur rigolard d’avant devient ici une baffe, un écœurement, une sidération. Deux scènes de viol qui vont trop loin, peut-être inutiles, mais qui ont le mérite de faire taire les rires… De là, alors, le film glisse vers une noirceur abyssale qui serre la gorge et le cœur (magnifique plan sur une chanson de Barbara). L’effet est risqué et Meurisse prend le parti discutable et radical de ne pas être compris – et de heurter violemment aussi un public censé venir se marrer. « It’s a wonderful life » entend-on à la fin dans un plan séquence totalement idéalisée. Ironie tragique et dernier doigt d’honneur d’un film qui n’a plus le cœur à rire.

De Jean-Christophe Meurisse. Avec Alexandre Steiger, Christophe Paou, Lilith Grasmug. France. 1h42. En salles le 13 octobre

 

 

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