Cannes 2021 : EVOLUTION / Critique

12-07-2021 - 15:19 - Par

Cannes 2021 : EVOLUTION / Critique

De Kornél Mundruczó. Sélection officielle, Cannes Première.

 

« Pour moi, ce plan-séquence a un intérêt quasiment scientifique ; c’est la rencontre de deux entités – l’extension du temps filmique et la compression du temps réel. Est-ce que cette rencontre peut avoir lieu sur pellicule ? Ça m’intéresse presque à titre de manifeste artistique. » Voilà comment Kornél Mundruczó nous parlait il y a quelques mois du plan-séquence central de PIECES OF A WOMAN qui, en 23 minutes sans aucune coupe, compressait un accouchement de 8 ou 12 heures. Au cours de sa carrière, le cinéaste hongrois a souvent joué avec virtuosité avec le plan-séquence. Il s’en saisit de nouveau dans EVOLUTION, récit en trois segments des résonances intimes de l’Holocauste au sein d’une famille hongroise, sur trois générations. Chaque partie étant réalisée en un plan-séquence d’une trentaine de minutes. Artificiel ? Évidemment : chez Mundruczó, le plan-séquence n’a aucune velléité de naturalisme, de retranscription en temps réel. Il bâtit au contraire un récit-monde, une bulle dans laquelle il invite puis emprisonne le spectateur pour que celui-ci se projette corps et âme dans un univers totalement fictif, régi par ses propres règles – c’est ainsi qu’il peut compresser un accouchement de huit heures en 23 minutes. Cette entreprise, le cinéaste la mène à ses sommets dès son premier segment, dans lequel trois hommes entrent dans une pièce en béton, y vident des bouteilles, frottent les murs au balais brosse. La terreur se lit sur leurs yeux. Mais seuls leurs regards la partagent. Aucun mot n’est prononcé. Les gestes sont à la fois assurés et paniqués. L’équipe de Mundruczó fait techniquement des merveilles, notamment le focus puller chargé de faire le point, tant les entrées dans le champ sont nombreuses, soudaines et parfaitement maîtrisées. Que font ces trois hommes en ce ballet étrange ? Le segment ne le révèlera qu’au bout d’une demie heure écrasante, en apnée, monument cauchemardesque de représentation à la fois réaliste et symbolique de l’horreur. Comment se relever d’un tel moment de cinéma ? Impossible. EVOLUTION ne peut s’en relever. Ce qui, finalement, pourrait presque être le but. Que faire quand on a filmé une telle horreur ? Que peut-on bien montrer ? De quoi discuter ? Comment (re)construire sur cette base ? Tout à coup, la structure d’EVOLUTION se fait propos méta-textuel. Le second segment, antithèse du premier – plus théâtral que cinématographique, ultra dialogué –, organise la discussion entre une mère et sa fille. On y débat du souvenir, de l’antisémitisme, du poids de l’horreur dans son héritage, de vie et de survie. Mundruczó et sa co-autrice et compagne Kata Wéber interrogent 80 ans de devoir de mémoire avec en ligne de mire évidente, presque en arrière-plan mutique, la nouvelle montée des extrémismes. Alors le troisième segment, lui, tente de se projeter dans l’avenir. Plusieurs décennies après le péché originel que faire lorsqu’il réapparaît dans le quotidien ? Aérien, se déployant d’un lycée aux rues de Berlin, d’un appartement à un long cortège d’ados, il rejoint l’expérimentation de PIECES OF A WOMAN en compressant le temps et l’espace pour mieux tenter de sonder le futur. Les identités s’interrogent, se confrontent. On ne revit pas encore tout à fait l’effroi du début mais la haine et notamment celle de soi, vibre, tapie dans chaque recoin de nos vies. Et si la seule réponse était un doigt d’honneur en forme d’espoir ? Loin du symbolisme fantastique de WHITE GOD et LA LUNE DE JUPITER, Mundruczó continue le mouvement initié par PIECES OF WOMAN de retour à un cinéma plus ancré dans le réel. Il n’y perd ni en puissance des images, ni en pertinence du propos.

De Kornél Mundruczó. Avec Lili Monori, Annamária Láng, Goya Rego. Hongrie/Allemagne. 1h35. Prochainement

 

 

Evolution1

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.