Cannes 2021 : LA FRACTURE / Critique

13-07-2021 - 16:35 - Par

Cannes 2021 : LA FRACTURE / Critique

De Catherine Corsini. Sélection officielle, Compétition.

 

Pour sa saison 2 d’HIPPOCRATE, Thomas Lilti faisait l’état d’un hôpital submergé. Avec une mise en scène étouffée et étouffante, des cadres surchargés de personnes et de mouvements, il racontait un personnel soignant et une institution au bord de la rupture. Ou de la fracture, comme le titre du film de Catherine Corsini. Avec ce long métrage, la réalisatrice s’inscrit dans les pas de Lilti pour tirer à boulets rouges sur les carences de ce service public nécessaire mais exsangue. Avec un personnage d’infirmière, joué par la géniale révélation Aïssatou Diallo Sagna, et une mise en scène accidentée, souvent interrompue et engorgée, elle montre les dernières forces vives et humaines d’un système de santé qui ne fait que parer à l’urgence et n’a plus les moyens de soigner les âmes autant que les corps.

Mais surtout Catherine Corsini fait de cet hôpital un huis clos social passionnant. Sorte de petit théâtre de la comédie humaine où toutes les strates de la population voient leur compteur remis à zéro, ce lieu, quasi unique pendant tout le film, voit se rencontrer un chauffeur de camion gilet jaune blessé lors d’une manif et un couple de bourgeoises en pleine séparation. Alors que le chaos règne dehors, opposant violemment manifestants et CRS à coups de bombes lacrymo, ils sont obligés de cohabiter dans cet espace surchargé, contraints de communiquer, là où d’habitude chacun préfère rester bien tranquillement dans ses a priori confortables. Hilarant quand il fait hurler un Pio Marmaï et une Valeria Bruni-Tedeschi en plein dialogue de sourds, LA FRACTURE n’épargne rien, ni personne. Catherine Corsini maîtrise avec une science précise du timing, gestes comiques et ruptures de ton pour raconter quelque chose de notre époque, saisir le pouls et appuyer là où ça fait mal (et sans morphine pour soulager la douleur, il n’y en a plus de tout façon). Et elle n’y va pas par le dos de la cuillère quand il s’agit de montrer la double peine d’une partie de la population et le confort systémique d’une autre.

Mais la réalisatrice n’est pas moralisatrice pour autant, et elle sait d’où elle part et qui elle est. Car LA FRACTURE, c’est aussi celle du coude de Raf, dessinatrice, qui s’est vautrée dans la rue en voulant rattraper sa future-ex épouse Julie, prête à la larguer. Tiré de son expérience personnelle, le film n’oublie pas les thèmes qu’elle maîtrise et qu’elle aime, et qui semblent aussi l’incarner à l’écran : une certaine bourgeoisie lesbienne, une réflexion sur le féminin et un sens de la chronique. C’est d’ailleurs là-dessus que le film débute, sur ce couple lui aussi au bord de la rupture, touchant dans ses épanchements, drôle dans ses excès presque vaudevillesques et parfaitement joué par le duo clown blanc et auguste Marina Foïs / Valeria Bruni-Tedeschi. Catherine Corsini n’en finit pas de faire résonner le politique et l’intime dans cette triple FRACTURE qui sans cesse surprend, réconforte et ravive sainement une colère que l’on croyait éteinte.

De Catherine Corsini. Avec Valeria Bruni-Tedeschi, Pio Marmaï, Aïssatou Diallo Sagna. France. 1h38. Prochainement

 

Fracture3

Fracture2

Fracture1

 

 

 

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