Cannes 2021 : LA FIÈVRE DE PETROV / Critique

13-07-2021 - 17:14 - Par

Cannes 2021 : LA FIÈVRE DE PETROV / Critique

De Kirill Serebrennikov. Sélection officielle, Compétition.

 

Après le merveilleux LETO, Kirill Serebrennikov revient avec une farce tordue et alcoolisée totalement incompréhensible sur le délire d’un homme atteint de la grippe. Vite, un doliprane !

Kirill Serebrennikov est l’un des grands formalistes d’aujourd’hui. Que ce soit au théâtre ou au cinéma, le créateur russe a un sens évident de l’image et de ses textures. Si LETO nous avait emporté par son noir et blanc granuleux et ses joyeuses disruptions pop dans un grand mouvement collectif sur les riffs du rock 80’s, la très attendue FIÈVRE DE PETROV préfère nous tenir à distance. Crise sanitaire oblige ? Non, ego d’un créateur en surchauffe.

Tout commence dans un bus. Compressé dans ce wagon glauque (le film travaille toutes les tonalités du vert de gris), Petrov tousse. Tandis que s’agite le chaos autour de lui – cacophonie très russe où la grimace croise la diatribe politique – Petrov, immobile, se voit embarqué soudain dans une tuerie cauchemardesque qui n’existe peut-être que dans sa tête. Pendant ce temps, sa femme développe de possibles super-pouvoirs qui la rendent super violente. Il y a un corbillard aussi, peut-être avec ou sans cadavre. De la vodka, la Reine des Neiges, une soucoupe volante… Un joyeux bordel issu du roman satirique absurde d’Alexeï Salnikov, gros succès en Russie. Mais là où le livre joue la carte du récit d’aventures intérieures, zigzaguant entre la démence d’un pays et la fièvre qui monte de ses héros, Serebrennikov, lui, fabrique des images. Uniquement des images. Son film, formellement stupéfiant, est lardé de moments de bravoure (à l’heure de la caméra numérique, le plan séquence est-il encore si impressionnant que ça ?) et de trouées esthétiques surprenantes (tout une partie en plan subjectif dans un passé d’enfance, le retour final au noir et blanc de LETO, le générique de fin). Il n’est qu’une longue digression autour d’un récit et d’un personnage déjà digressifs. Petrov délire et Serebrennikov de délirer sur le délire de cet homme. Alors, oui, l’effet est forcément saisissant. Le film donne constamment l’impression de muter, de se renverser sur lui-même, de changer de direction (et de personnages) et procure forcément une ivresse des sommets formalistes. Et après ?

Après, pas grand-chose, hélas. Le vertige formaliste en colère de LETO (« this never happened », plus belle idée de cinéma) devient ici la logorrhée saoule et soûlante d’un film qui se passe de son spectateur. Totalement abscons mais surtout très peu généreux – car beaucoup trop concentré à ne pas être volontairement lisible – le film dissout tous ses personnages et ses potentiels sujets pour ne laisser la place qu’à l’auteur Serebrennikov, tout puissant. L’excellent roman de Salnikov (lisez « Les Petrov, la Grippe, etc… » aux éditions des Syrtes), fresque à la Boulgakov où le surnaturel côtoie le prosaïque, se voit régurgité dans une sorte de mélancolie poisseuse, de forme mortifère. On venait faire la fête et se saouler à la vodka. On n’a eu que la gueule de bois et le mal de tête qui va avec.

De Kirill Serebrennikov. Avec Semyon Serzin, Chulpan Khamatova, Yuriy Borisov. Russie. 2h25. En salles le 1er décembre

 

 

 

 

 

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