Cannes 2021 : FRANCE / Critique

16-07-2021 - 14:18 - Par

Cannes 2021 : FRANCE / Critique

De Bruno Dumont. Sélection officielle, Compétition.

 

À rebours de ce qu’on attendait de lui, Bruno Dumont signe un mélo camp sur la dépression nerveuse d’une star de la télé. Tordu et flamboyant, complètement con et brillant à la fois.

Vu qu’on avait déjà subi MA LOUTE, on savait Bruno Dumont facétieux et adepte des films dégénérés. Mais on ne s’attendait pas au choc FRANCE, film bouffon et blafard qui piège Léa Seydoux dans les phares pervers du réalisateur. Cinéaste tout contre, grand misanthrope, Dumont offre au spectateur – au départ – son sujet en pâture. Une critique de la télé, des journalistes à sensation et de leur horrible supposé égo démesuré. Mais c’est mal connaître le cinéaste retors. FRANCE n’est pas une satire ou un film à charge, c’est un mélo camp où le faux et le vrai ne font qu’un, où l’excès dit la vérité et la pudeur dégoûte.

Monstre peroxydé, France défie la caméra, la dévore et Dumont de nous jeter dans la gueule du loup. Collé à ses talons perchés, il la filme comme un costume, un maquillage en mouvement. Le film réactualise avec un mauvais goût généreux quelque chose de l’outrance du grand mélo muet des années 20. Mais là où Borzage où Murnau sublimaient les grands yeux sacrificiels de Janet Gaynor, FRANCE lui surligne et dévisage son actrice. C’est la grimace, le rictus, la laideur qui fascine Dumont. Quelque chose de l’ordre de l’animal social, filmé et sublimé dans toute sa fausseté. Dans un grand numéro à la Gloria Swanson, quelque part entre la possession monstrueuse et l’effondrement intérieur, Lea Seydoux impressionne. Sa froideur légendaire passé ici à la moulinette du camp, devient un moment de cinéma fascinant. Seydoux contre Seydoux, à la fois actrice surpuissante et marionnette d’un cinéaste qui la filme dans toute sa fabrication, toute son image (le film surjoue le luxe et le chic dans un rire de sale gosse), toute sa fausseté. C’est peu dire que l’actrice est ici géniale, véritable surface réfléchissante de la laideur du monde et incarnation iconique du cinéma en train de se faire. Faux film de larmes, FRANCE est tout entier dévoué au faux, à l’image du monde tel qu’on s’en fait, tel qu’on peut la fabriquer. La mise en scène de la mise en scène comme une jubilation de spectateur (une séquence d’accident de voiture, mémorable, à la fois grand mélo et HOT SHOTS ; l’ouverture avec Emmanuel Macron tout en trompe l’œil). Dumont filme la dépression nerveuse de son animal médiatique comme un moment de flottement. Le monstre pleure. A-t-il une âme ? Non. Mais les larmes lui donnent l’illusion d’appartenir au monde.

Évidemment, le film va trop loin, s’égare, exagère. On rit en se demandant toujours si c’est fait pour. C’est la force du camp d’accepter le faux pour le vrai, comme un pacte, et de nous amener à trouver dans les excès de Dumont, son outrance tête baissée, un état des lieux jubilatoire du monde. La satire est ici esthétique. Désorienté, venu ricaner en toute sécurité du cirque médiatique, le spectateur se sent supérieur au film, s’en amuse, l’envoie balader. Il aurait tort. Car en embrassant le faux, en dégueulant la misère et le grotesque de sa représentation, Dumont trouve ici la forme parfaite, pleine de malaise et de misanthropie, d’écarts bizarres et de foutage de gueule punk, pour regarder le monde et l’aimer dans toute sa laideur. Un film monstre pour une héroïne et une actrice monstres.

De Bruno Dumont. Avec Léa Seydoux, Benjamin Biolay, Blanche Gardin. France. 2h14. En salles le 25 août

 

 

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