Bilan Séries Mania 2021 : une édition bien vivante

08-09-2021 - 10:14 - Par

Bilan Séries Mania 2021 : une édition bien vivante !

Marqué par la crise sanitaire, le festival Séries Mania revient en 2021 pour une édition toujours en phase avec le monde et célébrant le retour des arts vivants.

 

Après une annulation en 2020 et un report en 2021 (de mars à fin août), le Festival Séries Mania Lille Hauts-de-France a pu pour sa troisième année agiter les rues lilloises et mettre un coup de projecteur sur le paysage mondial sériel. 52 séries projetées, 20 nationalités représentées et plus de 54 000 visiteurs (sans compter les connexions sur la plateforme Séries Mania Digital qui offrait la possibilité de voir les séances en ligne) plus tard, que reste-t-il d’une édition masquée et marquée par un contexte si particulier ?

Un festival est toujours un lieu de célébration et d’observation. Un échantillonnage qui, à défaut de pouvoir se montrer exhaustif, permet de repérer des tendances. Et les séries avec leur prise directe sur le monde, contractant le temps pour différer le moins possible ce qui s’y déroule, reste un formidable baromètre. Cette édition de Séries Mania ne déroge pas à la règle à travers une sélection de séries internationales qui ont figuré notre présent.

 

La crise sanitaire, petite invitée

Contrairement à une saison 2020/2021 américaine marquée par la présence de masques, de confinements, de distanciations sociales, seule une série a investi totalement la crise sanitaire. THE BITE (USA) de Michelle et Robert King (THE GOOD FIGHT, EVIL) imagine une invasion de zombies en plein confinement – malin, jusque dans l’exploitation intelligente des visios par Zoom. On retrouve ici la charge politique et l’humour si singulier du couple d’auteurs. Plus indirectement, ANNA (Italie) signe le retour de Niccolò Ammaniti après le sacre de IL MIRACOLO en 2019. Adaptant son propre roman publié en 2015, il imagine un monde ravagé par une pandémie touchant uniquement les adultes, laissant ainsi le reste de la civilisation aux mains des enfants. La cruauté se partage avec l’innocence pour un résultat qui, s’il propose des images puissantes, peine à embrasser son sujet.

 

La politique à travers le temps

L’état du monde ne s’est pas limité à la crise sanitaire. Le politique, au cœur de plusieurs séries, s’est illustré, en remontant un peu dans le temps. Il y a de l’esprit loachien dans l’islandaise BLACKPORT, récompensée par le Grand Prix du Jury International (présidé par Hagai Levi). Autre gagnante, THE LAST SOCIALIST ARTEFACT (coproduction serbe, croate, finlandaise et slovène), Prix du Jury du Panorama International (présidé par Florence Aubenas). Des prix qu’on imagine davantage motivés par les thèmes que les velléités artistiques : réouverture d’une ancienne usine dans la coproduction Erasmus ; les quotas de la pêche dans l’Islande des années 80 pour l’autre, le tout emballé dans une forme classique un peu naphtalinée. Les luttes sociales et ouvrières de GERMINAL (France), nouvelle adaptation du roman de Zola, auraient davantage mérité les lauriers : reconstitution luxueuse, distribution convaincante, la mini-série trouve un réel écho dans notre société où les notions de solidarité (ouvrière ou autre) se perdent et l’emballe avec un vrai sens du romanesque.

Il est davantage question de géopolitique dans VIGIL (Angleterre) qui faisait l’ouverture du festival. La série imagine une enquête policière dans un sous-marin avec en toile de fond une crise diplomatique. Classique, efficace malgré quelques lourdeurs, elle s’élève par un discours clairvoyant qui rappelle que la fin de la guerre est une illusion.

 

Questions de société

Les séries pour ouvrir le débat : deux séries ne manqueront pas d’engager discussions et réflexions autour de leurs thématiques. La québécoise BÊTE NOIRE se consacre au délicat sujet d’une tuerie de masse dans un lycée en plaçant le point de vue du côté de la famille du tueur. Le deuil, l’incompréhension du geste, les interrogations sur la responsabilité sont d’une pudeur remarquable, ce que ne parvient pas à réaliser l’enquête qui tente d’expliquer les motivations émotionnelles et psychologiques. Dans FURIA (Norvège), c’est la montée du nationalisme qui est au cœur des débats. La série norvégienne use de l’infiltration d’une flic dans un groupuscule identitaire d’extrême droite pour dérouler un récit brut et efficace mais sans originalité.

La société, c’est surtout les gens qui la composent et le festival s’est montré, comme à l’accoutumé, particulièrement généreux dans les représentations. Les femmes et le féminisme sont ainsi à l’honneur selon des angles inspirés. NONA ET SES FILLES de Valérie Donzelli imagine une Miou Miou enceinte à 70 ans. La série brille par ses thématiques hyper contemporaines sur la place des femmes, le rapport à leur corps et emballe ses questions très sérieuses dans une enveloppe loufoque pour un résultat aussi attachant qu’émouvant. Chose que ne réussit pas Julie Delpy dans ON THE VERGE. Louable dans les intentions et l’exposition qu’elles donnent à ces femmes que l’âge (45/50 ans) écarte trop souvent des histoires, l’ensemble très lisse et convenu peine à éveiller l’intérêt.

Sur les questions de représentations, deux séries mettent des personnages queer au centre de leur programme. Dans SORT OF (Canada), on suit Sabi, non-binaire, dans son quotidien au sein d’une famille pakistanaise, dans son travail de nounou et sa vie sentimentale. La colombienne VIDA DE COLORES place Yerit, jeune danseur non-binaire, devant l’adversité après l’agression que subit Alma, femme transsexuelle et mère de substitution. Si SORT OF s’avère très juste dans la peinture de son personnage principal, la série colombienne peine à convaincre malgré l’envie de montrer que la Colombie ne se limite pas à des narco-récits.

PØRNI (Norvège) et KEVIN CAN F*** HIMSELF (USA) illustrent la charge mentale des femmes (mère élevant seule ses enfants dans la première ; femme cumulant gestion du foyer et travail dans la seconde). Deux séries qui opposent les approches. Conceptuelle pour l’américaine qui opère un basculement visuel entre sitcom traditionnelle et drame désaturé. Passé le gimmick méta, elle s’essouffle rapidement, peu aidée par sa durée (épisodes d’une heure). PØRNI, beaucoup plus sobre, accompagne son héroïne dans son quotidien familial et professionnel. Avec une économie de moyen, s’opère progressivement un effacement de l’identité de son personnage pour la réduire à ses fonctions. Pas besoin de grands effets pour parvenir au résultat espéré.

 

Célébration des arts vivants

Avec la venue d’Audra McDonald (PRIVATE PRACTICE, THE GOOD FIGHT, actrice de Broadway), récompensée par la première Étoile Award du festival, de Steven Canals (POSE) et les cartes blanches offertes à Kyan Khojandi, Nora Hamzawi, Agnes Hurstel, Fadily Camara et Alex Ramirès, cette édition 2021 a mis les arts vivants à l’honneur jusque dans sa sélection, comme une façon de conjurer plus d’une année de désert de représentations, crise sanitaire oblige.

La chanson se retrouve au cœur de WE ARE LADY PARTS (Angleterre) et THE ECHO OF YOUR VOICE (Israël) ; la danse dans L’OPÉRA (France) et VIDA DE COLORES (Colombie) et le stand up dans JEUNE ET GOLRI (France), selon des approches bien différentes. On retiendra l’énergique série anglaise qui suit quatre jeunes musulmanes dans leur groupe de punk. Empowerment féminin dans un récit déjanté et feel good ; et le soap classieux et efficace de la série française mettant en scène des danseuses étoiles. On restera davantage sur sa fin concernant la comédie JEUNE ET GOLRI qui manque de consistance, ainsi que l’israélienne dont l’histoire de filiation et d’héritage à travers des figures populaires de la chanson se prend les pieds dans un rythme neurasthénique.

 

Des thèmes forts pour quelles formes ?

On sent ainsi dans la programmation, le choix des séries, une volonté de cartographier le monde, de dresser un miroir pour apprécier leur reflet. Prendre le pouls de la société. Et à ce titre, les équipes du festival ont réalisé un travail convaincant. Néanmoins, on regrettera que très (trop) souvent, le sujet prime sur la forme. Comprendre que si les thématiques abordées résonnent avec notre actualité, les propositions formelles sont souvent sages, bien rangées, et manquent de style. Bien sûr, certaines ont essayé de dépasser le cadre : THE VAMPIRE OF MIDLANDS (Russie) se caractérise par un visuel outrancier limite nanar ; JEUNE ET GOLRI et THE UNUSUAL SUSPECTS (Australie) alimentent leurs images d’inserts faussement modernes pour un résultat un peu factice, déjà passé de mode. NONA ET SES FILLES et WE ARE LADY PARTS s’en sortent beaucoup mieux, jouant avec les tons, les styles pour amener dynamisme et modernité à leur narration. HAMLET (Turquie) et sa relecture austère de Shakespeare ose l’extrême lenteur avec un côté taciturne. Perturbant mais fascinant. Le reste, c’est de l’illustration propre mais automatique, sans vice ni vertu.

Autre tendance, une présence quasi hégémonique des mini-séries. C’est parfaitement dans l’air du temps, où les formats courts sont privilégiés. Comme une réponse logique, une réaction de survie face à une production qui ne dégonfle pas. Mais l’art sériel ne se résume pas à une évolution ponctuelle et on peut s’interroger sur la pertinence de ne présenter, au-delà des différents genres abordés, qu’un style : des séries feuilletonnantes bouclées en une petite saison. Ce manque de diversité répond peut-être à des impératifs de « bon moment, bon endroit » mais ce constat rend toujours un peu amer. Il faudra compter uniquement sur LE CODE (France) pour apprécier la présence d’un (excellent) procédural, à l’ancienne mais aux thématiques résolument tournées vers l’actualité. Comme quoi, c’est toujours possible en 2021 et ô combien pertinent pour multiplier les interrogations sur la société et sa justice.

Enfin, malgré la multiplication des nationalités représentées, on semble de moins en moins ressentir de disparités culturelles entre les différentes propositions. Comme si l’effet de la mondialisation touchait aussi la production sérielle et l’implantation des plateformes réduisait la notion de frontières, puisque l’on a de plus en plus accès à « toutes » les séries. Elles ne sont pas identiques mais qu’est-ce qui différencie une œuvre norvégienne d’une autre australienne ? Pas grand-chose, si ce n’est la langue. Une piste de réflexion à étudier pour l’avenir…

 

 

 

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