SPENCER : chronique

21-01-2022 - 13:53 - Par

SPENCER : chronique

Quelques jours dans la vie de Lady Di, entre agonie de la princesse et éclosion trop tardive de la femme libre. Terrible et fulgurant.

 

Dans son cabriolet, en rase campagne anglaise, Diana se perd. Elle s’arrête dans un restaurant, demande sa route aux commerçants sous les yeux médusés des clients. Elle pense être une personne normale, elle est Lady Di. Là où elle se rend pour les fêtes de Noël, à Sandrigham, l’attend un incessant combat avec ce protocole qu’elle déteste. Et le protocole le lui rend bien, un peu vachard, un peu vengeur. Parce qu’elle attire sur elle les regards curieux et énamourés du monde entier, elle est punie comme une enfant, condamnée à vivre rideaux fermés, pour, lui dit-on, échapper aux téléobjectifs dont elle ne verra jamais la trace. On a beau scruter le parc, les haies et la cime des arbres, pas un paparazzi ne semble avoir Diana dans son champ de vision. En revanche, nous, nous sommes avec elle tout le temps car ce que propose Pablo Larraín, c’est une expérience d’immersion totale dans la tête de Lady Di, pour vivre l’étouffement de la royauté, les regards de haine, ceux de compassion, son infantilisation et l’injonction à prendre du plaisir, à être reconnaissante, quand tout, du décor intimidant à la froideur de Charles, en passant par l’organisation militaire des festivités – que Pablo Larraín filme comme il a tant filmé la dictature de Pinochet – pousse à l’aliénation. 

Le prince la trompe, elle le sait. Dans un jeu de mise au point brillant, lors d’un plan en vue subjective, le regard de Diana se focalise sur Camilla Parker Bowles à la sortie de l’église et soudain, celui qui était flou devient net dans le cadre : Charles. La cour pense que c’est elle qui s’éloigne mais c’est en fait lui le problème. Le film d’horreur rattrape SPENCER : la malédiction d’Ann Boleyn – dont la biographie a savamment été mise à disposition de la princesse comme une intimidation –, une ancêtre des Spencer, va frapper. Elle avait fini décapitée pour adultère quand c’était elle la cocue du souverain. Quelle ironie que cinq siècles et demi après la monarchie anglaise n’ait pas vraiment changé. Le destin ricane : la musique signée Jonny Greenwood, qui va du free jazz à l’orgue, des grands angles azimutés, les couleurs désaccordées, tout poursuit et harcèle Diana qui projette des petites paroles, très courtes, comme on expulse une douleur – Kristen Stewart et son accent très nerveux crispent puis conquièrent. Face à elle, Charles est désolé : elle savait à quoi s’attendre, pourquoi craquer maintenant ? 

Peut-être parce que de l’autre côté de la haie, jouxtant ce parc qu’elle n’a pas le droit d’arpenter seule, il y a son ancienne maison, synonyme du bonheur et de l’insouciance dans lesquels elle a grandi. La bâtisse n’est plus que ruine (belle allégorie) et lorsqu’elle la visite, intrépide, armée d’une lampe torche, elle ressent la joie mélancolique de croiser le fantôme de l’enfant qu’elle a été. Pablo Larraín la filme longuement face à elle-même, troussée de ses tenues de petites filles, assaillie de pensées. Le regard bienveillant du cinéaste sur une martyre du vieux monde est sidérant. « Pourquoi tu es triste » lui demandent ses enfants. « À cause du passé », répond-elle. « Moi je pense que c’est à cause du futur », oppose Harry. C’est en effet le futur tragique de Diana qui plane sur SPENCER, son oraison funèbre. Et si elle gagne à la fin du film, c’est pour mieux rappeler que la tragédie rattrape souvent celles qui ont défié l’ordre établi. 

De Pablo Larraín. Avec Kristen Stewart, Sally Hawkins, Sean Harris. Grande-Bretagne. 1h56. Le 17 janvier sur Amazon Prime Vidéo

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