RED ROCKET : chronique

01-02-2022 - 17:10 - Par

RED ROCKET : chronique

Présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, le nouveau film de Sean Baker (TANGERINE, FLORIDA PROJECT) est une charge malicieuse contre la masculinité toxique qui pense régir le monde. Mais du point de vue du mâle dévorant.

 

Souvent entend-on que Sean Baker fait un cinéma sur les laissés-pour-compte du rêve américain. Le déterminisme n’est pourtant qu’une partie du sujet de RED ROCKET qui, c’est vrai, parle d’une Amérique en marge, tombée dans la drogue et la misère sociale et morale, squattant des maisons en bois qu’un ouragan anéantira sûrement très prochainement. Mais cette Amérique-là n’existe que parce qu’une autre Amérique l’exploite et la domine. C’est l’Amérique de Mikey (Simon Rex) qui, star du porno réputée mais tombée en disgrâce, revient depuis la Californie jusqu’à Texas City, sa ville natale, pour se refaire. Alors, ces laissés-pour-compte, on va les regarder en grande partie à travers les yeux de Mikey qui, lui, a saisi les bonnes opportunités au bon moment pour finir par tout foirer tout seul, même si rien n’est jamais de sa faute. Le voilà à squatter le canapé de son ex-femme, à dealer de la drogue pour la baronne du coin, à draguer des mineures dans un magasin de donuts bien trop gras. Dans TANGERINE ou dans FLORIDA PROJECT, Sean Baker n’a jamais porté de regard misérabiliste sur ces « laissés-pour-compte ». Il leur offrait des vies de débrouille, de solidarité. Dans RED ROCKET, en adoptant le point de vue de Mikey, ce regard est d’abord condescendant. Ça bouscule, ça interroge… jusqu’à ce qu’il subvertisse son concept et se retourne brutalement contre son piètre héros. L’exercice est risqué pour Baker, car il prend d’abord fait et cause pour ce raté misogyne : c’est dans un premier temps la franche comédie qui prévaut, la sympathie pour « l’hétéro-beaufitude », avec des personnages pathétiques qui se donnent de grands airs, des situations minables et des logorrhées interminables. Puis le réalisateur habille petit à petit Mikey des oripeaux du bouffon. À cet homme de bientôt 50 ans, obsédé par le sexe, pas un sou en poche, ressassant ses heures de gloire chez Spiegler, il offre un vélo d’enfant et des fringues médiocres, des plans serrés sur les rides, des monologues de bullshitter, et petit à petit démonte la légende que Mikey s’est savamment construite. C’était marrant deux minutes puis on cesse soudain d’en rire. Persuadé qu’une bonne fellation à l’écran, c’est d’abord le fait de l’acteur et pas de l’actrice, que son ex-femme, celle qu’il flatte au quotidien contre le gîte, le couvert et une partie de baise, lui a toujours pourri la vie, qu’une fille de 17 ans, ça fait une bonne pornstar, Mikey nous pousse à le détester et la mise en scène est sans équivoque. Les yeux sont méchants, le mensonge, permanent. Le regard que pose Mikey sur Strawberry, la jeune serveuse, est concupiscent, dégoûtant. Et pourtant, Sean Baker tient son film jusqu’au bout, parce que son portrait d’une Amérique toxique, pourrie par l’argent et l’envie d’hyper-puissance, est passionnant. En situant son histoire juste avant que Trump ne remporte l’élection, il ne peut offrir qu’une fin en trompe-l’œil à son film : on pense avoir chassé l’hyper-virilisme américain par la fenêtre, il reviendra toujours par la porte.

De Sean Baker. Avec Simon Rex, Bree Elrod, Suzanna Son, Ethan Darbone, Judy Hill. États-Unis. 2h08. En salles le 2 février

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