THE INNOCENTS : chronique

08-02-2022 - 17:15 - Par

THE INNOCENTS : chronique

Dans son deuxième film de réalisateur, le scénariste historique de Joachim Trier investit le fantastique pour explorer les émotions de l’enfance. D’une maîtrise absolue.

 

De tous les films de Joachim Trier, THELMA est sans doute le moins célébré, alors qu’il y délivrait une proposition de cinéma de genre accessible et singulière, satisfaisant tous les tenants habituels de son travail. Au scénario, on y trouvait Eskil Vogt, son co-auteur historique. L’excitation de voir Vogt réaliser aujourd’hui son propre film fantastique est donc grande et le résultat excède les attentes. Ida, sa sœur Anna, autiste, et leurs parents s’installent dans un nouveau quartier. C’est l’été. Ida craint de ne pas se faire d’amis. Puis elle rencontre Ben, qui révèle de petits pouvoirs télékinétiques. Et Aisha qui, inexplicablement, entend toutes les pensées d’Anna… Avec THE INNOCENTS, Eskil Vogt a l’ambition de livrer une étude rêche et sans complaisance de l’enfance à travers le prisme d’un fantastique empruntant aux récits super-héroïques. Sorte de rejeton de « La Nuit des enfants rois » et INCASSABLE, THE INNOCENTS choisit le point de vue d’Ida, gamine mal vissée, mélancolique, agacée par l’attention que reçoit sa grande sœur. Ida peste, grogne, écrase des lombrics. Elle ferait une excellente méchante. Mais ce n’est pas l’histoire que Vogt veut raconter. Ce serait trop simpliste. THE INNOCENTS s’intéresse à un passage à l’âge adulte extrêmement précoce qui, chez Ida, va durer un été et la mener à confronter les pouvoirs de ces gamins qu’elle côtoie. Le cinéaste construit dès le départ une ambiance pesante et étrange, instituant un malaise indéfinissable, presque abstrait. Les scènes se succèdent, certaines d’une noirceur voire d’une violence assez folle, et réifient à l’écran tout un magma d’émotions cruelles qui bouillonnent chez des gosses rongés par le ressentiment créé en eux par le rejet, par leur différence, par leurs petites frustrations quotidiennes. La caméra est lourde, ses mouvements lents, et met en scène avec un calme précis la dangerosité des enjeux – édifice servi par un quatuor d’enfants magistralement dirigés. Alors que la tension monte et qu’elle a happé le spectateur, THE INNOCENTS pourrait dériver vers des recettes plus complaisantes mais au contraire, il ne cesse de surprendre. L’intrigue reste imprévisible et le récit s’autorise une horreur quotidienne mais graphique inattendue, tout en évitant soigneusement la spectacularisation – y compris dans ses derniers moments de bravoure, où l’intimisme l’emporte sur la pyrotechnie. Eskil Vogt creuse toutes ses pistes narratives et honore jusqu’au bout le point de vue choisi : celui d’enfants qui devraient être protégés des questions morales mais doivent déjà choisir entre le bien et le mal. Très fort. 

D’Eskil Vogt. Avec Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Sam Ashraf, Mina Yasmin Bremseth Asheim. Norvège. 1h57. En salles le 9 février

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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