THE BATMAN : chronique

01-03-2022 - 17:03 - Par

THE BATMAN : chronique

Dans un paysage où les ambitions du genre super-héroïque apparaissent souvent sinistrées, Matt Reeves se saisit de l’icône Batman en un geste radical et imposant.

 

Matt Reeves se dit souvent influencé par le cinéma des années 70 et le premier plan de THE BATMAN, long, scrutateur, ne le démentira pas, tant il apparaît comme une reprise de l’ouverture de CONVERSATION SECRÈTE. Après tout, Reeves a coscénarisé THE YARDS, qui ressuscitait le spectre du Nouvel Hollywood. Mais son BATMAN, tout aussi hanté par les fantômes de Coppola, Pakula et Scorsese soit-il, n’en reste pas moins son propre objet de cinéma. En témoigne sa radicalité.

« Deux ans de nuit ont fait de moi un animal nocturne », déclare Bruce Wayne en voix off. Prenant au mot le justicier, Reeves plonge THE BATMAN dans un puits sans fond de ténèbres. Et son chef opérateur Greig Fraser de sculpter une cathédrale de noirceur dont émergent de brutales saillies de couleurs saturées, caractérisation picturale particulièrement efficace de la déréliction de Gotham et de l’intériorité en ébullition du personnage-titre. Justicier depuis deux ans à peine, Batman n’a pas encore pleinement défini son rôle, ni délimité les contours moraux et pragmatiques de sa mission. Tout juste est-il dirigé par ses envies de vengeance. À l’image, les ténèbres l’entourent et il finit par en faire partie – sa première apparition est à ce titre remarquablement évocatrice. Dans cet exercice fascinant de mise en image, THE BATMAN assume sa nature expressionniste de film noir. Entre une multitude de plans en vision subjective et une prédominance de lumières diégétiques notamment, THE BATMAN construit aussi un univers naturaliste qui, sans être crédible pour notre réalité, apparaît l’être totalement pour la sienne. L’immersion est ainsi totale, chaque plan comme un tableau propulsant le spectateur dans les pompes des personnages. 

Sans réelle exposition, Matt Reeves nous projette au cœur de Gotham et de ses nœuds dramatiques alors que la voix off d’un Batman rongé par la tristesse guide le public dans ses ténèbres comme Hermès les âmes en enfer. Une introduction comme une ferme note d’intention, à laquelle le film ne dérogera pas. Reeves échafaude ensuite une intrigue linéaire d’enquête – qui est ce Riddler qui assassine des notables ? Et pourquoi envoie-t-il des cartes énigmatiques à Batman ? Mais cette efficacité nourrit des desseins plus complexes, où chaque personnage est écrit avec soin, comme une partie d’un tout, d’une société qui apparaît organique et palpable. Ancré dans une intrigue solide mais fermement dirigé par les émotions de ses personnages, THE BATMAN y trouve une ampleur folle. Il se perd malheureusement un peu vers la fin, dilue ses enjeux dans le spectacle du troisième acte – alors que jusque-là, l’action servait toujours le récit et l’ambiance, comme cette folle poursuite automobile –, jusqu’à expliquer en voix off ce qu’il a déjà parfaitement exprimé par l’image. 

Reste qu’il y a là une proposition de cinéma rare, tant dans le paysage du blockbuster super-héroïque que, plus largement, du cinéma de divertissement. Mais au-delà même d’être à contre-courant de l’industrie, THE BATMAN offre une expérience de cinéma d’une grande singularité et en totale maîtrise, où tout – musique, travail de la caméra, interprétation, esthétique… – concourt à incarner à l’écran le poids de la dramaturgie. Une étude de personnage en forme de cri primal qui a le mérite de ne pas figer Batman dans le marbre mais de lui offrir un arc intelligent et humain, aux profondes résonances sociopolitiques (replis populistes et complotistes, lutte des classes, besoin de concorde…), énième preuve de son inépuisable pertinence. 

De Matt Reeves. Avec Robert Pattinson, Zoë Kravitz, Jeffrey Wright, Paul Dano, Colin Farrell… États-Unis. 2h55. En salles le 2 mars

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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