MONEYBOYS : chronique

16-03-2022 - 09:28 - Par

MONEYBOYS : chronique

Pop et mélancolique comme un Wong Kar Wai, minimaliste façon Hou Hsiao-Hsien et mystique comme un Weerasethakul, ce premier long-métrage sidère.

 

Fei, originaire d’un village de Chine, se prostitue à la grande ville pour subvenir aux besoins de sa famille. De ce constat social terrible, C.B. Yi tire un étrange récit amoureux, très proche du cinéma de Rainer Werner Fassbinder où l’argent contrôle tout et où l’amour est constamment un rapport de force et de pouvoir. Mais le réalisateur filme ce portrait très cru d’un monde où le corps devient un objet d’une façon étonnamment douce. Mélodrame cruel sur fond de solitude et de déclassement, MONEYBOYS impose dès ses débuts et son générique élégant une esthétique hyper sensuelle, une image très travaillée qui dépasse le maniérisme pour coller étonnamment au plus près de son sujet. C.B. Yi connaît ses classiques. Et c’est pour ça qu’il les réinvente. MONEYBOYS est ainsi constamment traversé d’images du passé, d’univers de cinéma et pourtant donne le sentiment d’être profondément contemporain. Qu’on divague avec le héros dans les néons d’une boîte d’une nuit au rythme d’une musique pop ou que l’on pénètre dans un village reculé où le temps semble s’être arrêté, le film propose une immersion délicate, toujours au bord du rêve. En osant constamment sublimer la réalité, C.B. Yi donne à son héros taiseux, la grandeur d’un héros de cinéma : son histoire tragique, sa cruauté, sa lâcheté peut-être, la violence qu’il subit n’en deviennent que plus puissantes. On se laisse alors emporter à la fois par la beauté stupéfiante de la mise en scène mais aussi le romanesque assumé d’un film dur et beau qui cache en son cœur une tristesse et un romantisme entêtants. Petit à petit, ce héros blessé, assez énigmatique voire carrément antipathique, baisse les armes et s’abandonne à l’étreinte, la vraie. La sensualité du film se mue alors en un puissant cœur battant, que le héros refuse d’abord puis auquel il finit, délicatement, pudiquement, par s’abandonner. C’est une balade à moto qui se transforme petit à petit en un délicat moment suspendu, une échappée printanière où l’idée d’être enfin heureux semble possible, une danse qui dessine sur un visage un léger sourire, tous ces petits détails prennent soudain par la grâce et l’hyper-esthétisme de la mise en scène une profondeur, un impact rare. Dans ce monde rude et cloisonné où ces corps n’existent que pour être désirés et abîmés, C.B. Yi offre à ses personnages la beauté et la douceur comme refuge. Un premier film impressionnant de maîtrise qui dans les traces du SAUVAGE de Camille Vidal-Naquet pose un regard à la fois puissant, romanesque et profondément empathique et cinématographique sur la prostitution masculine. 

De C.B. Yi. Avec Kai Ko, Bai Yufan, Lin Zhengxi. Autriche / Taïwan. 2h. En salles le 16 mars

4Etoiles

 

 

 

 

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