CYRANO : chronique

30-03-2022 - 12:37 - Par

CYRANO : chronique

À la page « cinéaste qui n’a peur de rien » du dictionnaire, vous trouverez une photo de Joe Wright.

 

 

Tourné entièrement vers ses sentiments, CYRANO réclame – au sens littéral du terme – à son public d’oublier tout cynisme. Joe Wright n’a jamais été un cinéaste de la demi-mesure, du geste de cinéma poli, apprécié de tous. Il aime le spectacle. Le mauvais goût, parfois. L’outrance et les dramaturgies passionnelles. Qu’il débute son CYRANO avec un plan sur des pantins n’est sans doute pas un hasard, lui dont les parents dirigeaient un petit théâtre londonien de marionnettes : cette image fugace relie directement le film à son cœur de gamin. Hautement personnel, CYRANO pourrait même presque apparaître comme son film-somme, aux confluents de l’élégance d’ORGUEIL ET PRÉJUGÉS, de la sur-théâtralité d’ANNA KARENINE, des élans merveilleux de PAN ou de l’amour jusqu’au-boutiste pour un genre, comme dans l’actioner HANNA – ici, la comédie musicale. D’aucuns hurleront sans doute au sacrilège mais oui, CYRANO, adaptation d’un spectacle off-Broadway d’Erica Schmidt, relit Edmond Rostand sous la forme d’un musical très anglo-saxon. Et, au lieu d’affubler son héros-titre d’un appendice nasal démesuré, en fait un homme qui n’a de petit que sa taille. Ce parti-pris a le mérite de moderniser la pièce, tout en respectant son contexte historique. Se crée alors à l’écran un mélange étrange, où l’œuvre prend vie telle qu’on se souvient d’elle, sans qu’on entende pour autant le texte originel – les lettres, tirades et monologues sont remplacés par des chansons. CYRANO a alors tout loisir d’imposer sa personnalité, notamment grâce au talent de ses acteurs et en particulier Peter Dinklage, qui trouve dans la figure tourmentée de Cyrano le rôle de sa carrière – son exceptionnelle prestation, physique et intérieure, réifie presque visiblement des émotions impalpables. C’est aussi là que CYRANO réclame le plus au spectateur. Sans s’excuser, Joe Wright filme trois personnages déchirés par la passion et le désir, quitte à plonger dans le kitsch (la chanson « EveryLetter », où Haley Bennett semble se caresser avec des lettres) ou le camp (« What I Deserve » et son Ben Mendelsohn tout droit sorti d’un clip de Meat Loaf). Le spectateur pourra pouffer. Ou décider consciemment de lâcher prise et ainsi, accéder à l’absolue sincérité de l’entreprise, à son lustre esthétique, à la complexité des chansons dues à une partie du groupe The National. Jusqu’à cet immense moment de cinéma, quand CYRANO met en scène les horreurs de la guerre. De telles propositions, maîtres même de leurs excès, qui offrent leur cœur au risque qu’on le brise, sont rares. Chérissons-les tant qu’elles existent encore. 

De Joe Wright. Avec Peter Dinklage, Haley Bennett, Kelvin Harrison Jr. Royaume-Uni. 2h04. En salles le 30 mars

4Etoiles

 

 

 

 

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