Séries Mania 2022 : le bilan

08-04-2022 - 17:40 - Par

Séries Mania 2022 : le bilan

Six mois après une édition déplacée fin août à cause de la pandémie, Séries Mania a retrouvé son printemps habituel. Six mois pour organiser un événement comme celui-ci, c’est court. Extrêmement court. Visionner 331 séries de 46 pays différents pour n’en retenir que 56, ça réclame une sorte de dévotion et une gestion très acrobatique du temps. Et le temps, c’est un peu l’un des grands thèmes de cette édition 2022.

 

« Les grandes séries regardent le monde, et vous vous regardez quoi ? » annoncent les affiches disséminées un peu partout dans les rues lilloises. Regarder le monde pour mieux en parler, c’est être capable de figer le temps. Une forme d’instantané, un arrêt sur image. Ce léger pas de côté qui a fait si souvent défaut aux séries françaises, incapables ou effrayées de s’emparer du contemporain. Figer un monde pour en extraire une histoire, des histoires, toutes les histoires quand le temps nous en laisse peu pour le faire. À peine la pandémie entre dans les séries du festival (EN THÉRAPIE SAISON 2 ; l’allemande SUNSHINE EYES ; de façon plus allégorique STATION ELEVEN) que l’actualité nous entraîne dans un nouveau monde d’après, celui de la guerre en Ukraine. On sait que souvent la réalité rattrape la fiction, peut-être que la fiction est condamnée à courir derrière la réalité. Mais les séries se caractérisent par leur prisme sur le réel et cette incroyable faculté de digérer en léger différé notre présent.

Thomas Lilti expliquait ainsi dans une passionnante conférence avec Martin Hirsch (directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris) comment la pandémie a stoppé le tournage de la seconde saison de HIPPOCRATE, tout en lui permettant de l’introduire à la fin de cette dernière et ce que la série montrait de l’état de l’hôpital public. Le milieu médical y apparaît exsangue, fatigué, à l’image du personnage principal de THIS IS GOING TO HURT (sur Canal +), obstétricien (campé par Ben Whishaw) au bord du burn-out dans une série grinçante. Une vision générale cela dit un peu moins cauchemardesque que celle de Lars Von Trier dans la classique L’HÔPITAL ET SES FANTÔMES, qui bénéficiait d’une projection spéciale.

Regarder le monde, le raconter, c’est aussi jeter un œil dans le rétroviseur. Réviser le passé pour mieux comprendre, apprécier, expliquer le présent. Les séries françaises du festival ont beaucoup puisé dans notre Histoire. Les forces de l’Opération Barkhane de 2014 dans SENTINELLES (OCS), les années 70 dans LES PAPILLONS NOIRS, les années 80 dans TOUTOUYOUTOU (OCS), les émeutes étudiantes contre la loi Devaquet de 1986 dans OUSSEKINE (Disney +), la naissance de NTM et de la culture hip-hop dans LE MONDE DE DEMAIN (Arte), auquel pourrait s’ajouter le fantasme intemporel de VISITORS  (Warner TV) avec ce monde indéfini, construit comme un kaléidoscope d’influences (des productions Amblin à X-FILES), quand PARALLÈLES (actuellement sur Disney +) mélange les flux et déplace ses personnages. Les séries françaises n’hésitent plus à regarder le passé de la France en face pour mieux raconter notre actualité. Montrer comme dans OUSSEKINE que, si 36 ans nous séparent de la mort du jeune Malik sous les coups de la police, les choses n’ont guère évolué. Et peut-être, être plus optimiste devant une jeunesse créant ses propres règles dans LE MONDE DE DEMAIN ou repliant le monde en chanson dans REUSS. La chaîne numérique France TV Slash montre d’ailleurs qu’elle cherche toujours à sensibiliser la jeunesse à des thématiques importantes comme dans CHAIR TENDRE et son personnage principal intersexe.

Un temps qu’on explore mais également un temps que l’on travaille comme une matière narrative. LES PAPILLONS NOIRS et FUNERAL FOR A DOG font dans la transmission et la valeur vériste que l’on accorde aux histoires racontées. La première avec une vision extrême, vigilante qui anticipe #MeToo et #TimesUp ; la seconde de façon un peu plus classique avec son récit en flash-back, d’une histoire d’amour/amitié à trois sommets. Retracer linéairement un récit intéresse peu mais l’exploser peut devenir l’artifice pour pallier certaines faiblesses de construction. La narration morcelée qui vague d’une époque à l’autre est virtuose dans WE OWN THIS CITY (OCS), retour tonitruant de David Simon à Baltimore qui mixe THE SHIELD et THE WIRE, quand elle plombe les premiers épisodes de SENTINELLES, cherche à donner le tournis dans PARALLÈLES, lasse dans la Belge TWO SUMMERS et rend confuse la suédoise THE DARK HEART. Difficile pour STATION ELEVEN de recréer les sensations du roman de Emily St John Mandel avec sa narration poupée russe, quand la géniale strip-teaso-coenienne DES GENS BIEN (Arte) s’amuse à la danse d’Hélène avec la sienne. Plus émotifs, les flash-backs illustrant l’ancienne vie du jeune héros de THE BIRTH OF DANIEL F. HARRIS, cloîtré par un père qui l’extrait du monde.

La protection des enfants/bébés a été une micro thématique du festival. Ils sont au cœur d’un trafic dans l’israélienne CHILDREN IN THE WOODS, la cible d’expériences dans SYNDROME E (TF1), à l’origine indirecte d’un scandale sanitaire dans TRANSPORT et enfin rythment la vie professionnelle épuisante dans THIS IS GOING TO HURT. Dans l’insupportable THE BABY (OCS), qui imagine un bébé maudit traversant les époques pour semer la mort derrière lui, mix entre LA MALÉDICTION et DESTINATION FINALE, c’est protéger ou se protéger.

Sillonner le temps, s’en imprégner, s’en extraire : les séries du festival ont figé le monde pour mieux le regarder mais se sont baladées dans les flux avec une inappétence à l’idée de se fixer. L’histoire que l’on raconte ne suffit plus, il y a aussi la manière. Une position dans l’ère du temps quand la vérité importe moins que le récit qu’on en fait. C’est l’exposé malhonnête que fait le gouvernement français pour étouffer l’affaire Malik Oussekine ou celui qui arrange le commandement français de SENTINELLES. C’est le mensonge d’un père à son fils dans THE BIRTH OF DANIEL F. HARRIS. C’est le fantasme dans lequel s’abîment les flics ripoux de WE OWN THIS CITY. Le déni des personnages de TWO SUMMERS, la déchéance morale DES GENS BIEN. Il y a l’histoire, le monde et la perception qu’on en a. « Les grandes séries regardent le monde » et on regarde les grandes séries.

 

 

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