NITRAM : chronique

10-05-2022 - 11:11 - Par

NITRAM : chronique

Une étude de personnage complexe et perturbante. Caleb Landry Jones a bien mérité son Prix d’Interprétation à Cannes.

 

« Parfois je me regarde et je ne sais pas qui j’ai devant moi », dit le protagoniste de NITRAM. Figure dérangée et dérangeante, il incarne pour l’Australie le visage de la violence gratuite, quasi démoniaque, de ces tueries de masse dont l’Amérique a la tragique habitude. En 1996 à Port Arthur en Tasmanie, Martin Bryant assassine 35 personnes et en blesse 23 autres par balles. Un drame dont se saisit Justin Kurzel, pas tant pour mettre en scène la tuerie ou ses conséquences que pour disséquer la personnalité du tueur. Pour essayer de savoir qui nous avons devant nous. Un exercice risqué : quelle raison peut-on avancer à un tel geste ? Chercher à comprendre est-ce déjà tenter d’excuser ou de pardonner ? Ne tombe-t-on pas dans les clichés en cherchant à expliquer l’inqualifiable ? NITRAM apparaît comme un cousin proche de JOKER, surtout dans son cœur subversif : parvenir, non pas à rallier le spectateur au protagoniste, mais à nous pousser à l’accompagner dans ses gestes et ses pensées. Au point qu’un lien se crée avec ce garçon déshumanisé par son entourage, par les institutions et par son acte. Autant dire que NITRAM peut se révéler une expérience extrêmement inconfortable. Jamais pour des questions morales – Kurzel n’excuse rien, il ne mène jamais son film sur le terrain de la fascination du Mal et sa mise en scène ne se repaît même pas du sang – mais parce qu’il donne les clés de NITRAM à son protagoniste et s’attèle ainsi à un exercice de point de vue intrinsèquement perturbant – même si très maîtrisé. Établissant une bulle mentale, le film oppresse par son esthétique lumineuse quasi naïve, par un travail écrasant sur le son, par ce regard torturé et pourtant inconséquent que le personnage porte sur le monde. La prestation de Caleb Landry Jones ajoute à ce malaise ressenti physiquement : chacun de ses gestes, même le plus discret, prend des airs de hurlement d’effroi ou de douleur, silencieux mais déchirant, qu’il semble délivrer dans le creux de nos oreilles ou ses yeux plongés dans les nôtres. Jouet d’un virilisme élevé au rang de norme absolue, de frustrations sexuelles, humaines, sociales et économiques, de fascinations très occidentales pour la violence, d’humiliations répétées, Nitram effraie parce qu’il est facile, en dépit de tout contexte, d’en faire un monstre prédestiné à son acte. Alors qu’un simple geste à l’attention d’une meute de chiens juste avant la tuerie suffit à Kurzel pour rappeler son humanité, même réduite à la portion congrue. La complexité de NITRAM réside là, dans ce détail, car la faillite finale de ce garçon, peu importe ses raisons, apparaît alors aussi en partie comme la nôtre. 

De Justin Kurzel. Avec Caleb Landry Jones, Essie Davis, Judy Davis. Australie. 1h50. En salles le 11 mai

4Etoiles

 

 

 

 

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