Cannes 2022 : FRÈRE ET SŒUR / Critique

21-05-2022 - 00:30 - Par

Cannes 2022 : FRÈRE ET SŒUR / Critique

D’Arnaud Desplechin. Sélection officielle, en compétition.

 

Un frère et une sœur se haïssent à la folie. Un Desplechin à l’os, brut et radical, mené par deux comédiens en transe.

Il y a deux types de films chez Desplechin. Ceux comme JIMMY P, TROMPERIE ou ROUBAIX qui sont pour lui des terrains de jeux, des exercices de cinéma. Et puis il y a la famille Vuillard, celle d’un CONTE DE NOËL, de ROIS ET REINE, des FANTOMES D’ISMAËL, qui croise souvent la trajectoire du Paul Dédalus de COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ et TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE. Pas tout à fait une saga, pas vraiment des films différents mais, d’œuvre en œuvre, le ressassement des mêmes histoires, des mêmes drames, colères, unions et désunions qui semblent frapper cette famille de Roubaix. Desplechin a bâti son propre mythe et si LES FANTOMES D’ISMAËL traitait de l’oubli et du regret, FRÈRE ET SŒUR arpente lui le terrain heurté de la colère. Et ce dès la première scène, cryptique et terrible, qui nous plonge in medias res dans la douleur d’un deuil et dans la fureur. Louis (Melvil Poupaud) chasse Alice (Marion Cotillard), venue pleurer la mort de son neveu qu’elle n’a pas connu. La rage, les larmes, la sidération, la démesure. Tout est là.

D’ordinaire romanesque et ample, le cinéma de Desplechin s’assèche ici pour ne s’intéresser qu’à cette haine qui ronge et dévore le frère et la sœur. Une haine mythique, quasi mystique, qui transforme le film en une sorte de numéro de fauve où les deux personnages rôdent et tournent en rond dans leur cage en attendant de se jeter l’un sur l’autre. Il y a toujours eu cette dimension excessive dans le cinéma de Desplechin. Mais, en la débarrassant de la rondeur des récits dans le récit, le cinéaste arrive ici à l’os de son cinéma. FRÈRE ET SŒUR est mal aimable, parfois désagréable, dans sa façon de rester volontairement à la surface de ses personnages. Comme une façon d’exposer la colère, de ne pas chercher à la rendre compréhensible ou même digérable par le spectateur. Alice, la comédienne, qui manipule les émotions ; Louis, l’écrivain, qui tord le monde à son ego, ressassent leur haine jusqu’à l’absurde. Ils la mettent en scène, la contemplent, la racontent même comme un trésor. Se détester devient un lien plus fort que l’amour. Évidemment, Marion Cotillard, tragédienne de mélodrame, excelle et impressionne. Tout comme Melvil Poupaud, plus inattendu mais virtuose dans la démesure virile et l’autodestruction. Et la caméra de Desplechin leur est entièrement dévouée, jusqu’à l’abandon ultime, l’étrange apaisement final.

Se rejoue ici en version western aride quelque chose du duo Amalric/Devos de ROIS ET REINE. Mais là où d’ordinaire le cinéma de Desplechin dépliait la névrose comme un long roman intérieur, il fait de FRÈRE ET SŒUR un nœud, puissant et inextricable, qui laisse le sentiment d’un cinéaste qui a peut-être atteint ici le cœur noir de son cinéma. Une part d’ombre, qui planait dans les précédents, et qui ici prend toute la lumière. Les novices en Desplechin trouveront sûrement le film raide. Les amoureux de son cinéma, eux, auront l’impression de traverser le miroir et d’atteindre peut-être l’essence douloureuse d’une œuvre.

D’Arnaud Desplechin. Avec Marion Cotillard, Melvil Poupaud, Patrick Timsit. France. 1h48. En salles le 20 mai

 

 

 

 

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