Cannes 2022 : DE HUMANI CORPORIS FABRICA / Critique

23-05-2022 - 13:44 - Par

Cannes 2022 : DE HUMANI CORPORIS FABRICA / Critique

De Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor. Quinzaine des Réalisateurs.

 

À propos de la fabrique du corps humain. Le titre du nouveau long métrage de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor annonce le programme. Il reprend celui du livre de l’anatomiste André Vésale qui, au XVIe siècle, ouvrait le corps humain à la vue de tous, notamment grâce à ses illustrations d’écorchés, aussi détaillées que poétiques. Le duo de cinéastes offre désormais cette plongée intime et mécanique au spectateur de cinéma. Sans jamais quitter l’hôpital, ils filment en alternance l’intérieur et l’extérieur des corps, à la fois humains et hospitaliers. Dans un va-et-vient, souvent émétique mais toujours fascinant, DE HUMANI CORPORIS FABRICA propose des images que seul le personnel soignant avait pu voir jusqu’à présent, de l’opération d’un œil en plein écran à l’analyse d’une tumeur, en passant par une césarienne et l’ablation d’une prostate – les commentaires des opérés et des opérants en plus.

Mais le documentaire ne se contente pas d’être un vain « Coloscopie, the movie » pour autant. On pense à David Cronenberg – qui, dans une amusante coïncidence, est également présent à Cannes cette année avec LES CRIMES DU FUTUR. Sauf que l’expérience qu’on nous propose, si elle est tout aussi organique et angoissante par moment, n’a rien de sexuelle, ni de monstrueuse. Au contraire, elle est mécanique. Elle voit l’individu comme un ensemble de pièces attachées et observe la dextérité des médecins en train d’opérer des corps qui leur ressemblent, comme une machine qui en réparerait une autre. Seuls les commentaires de ces soignants anonymes, entre compassion et courroux, permettent de les rattacher à une humanité dont les images nous privent. Le film, fureteur, les écoute, observe leurs lieux de vie comme autant de témoignages à la fois d’une détresse, d’une distance nécessaire et d’un savoir-faire. Cependant, le tandem de réalisateurs ne respecte aucun cordon sanitaire imaginaire et va plus loin encore.

Depuis LEVIATHAN et CANIBA, Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor nous ont habitués à une caméra intrusive, au plus proche de son sujet, transformant ce qu’elle filme en abstraction, voire en nouveau territoire. Avec ces images, littéralement jamais vues, au cœur de la chair, dans les entrailles de l’hôpital, DE HUMANI CORPORIS FABRICA vire à la science-fiction. Le corps humain devient un paysage incroyable, une terre inconnue à fouler de nos yeux. L’hôpital, un vaisseau spatial inquiétant où des voix émergent de nulle part, où des êtres errent en parlant un langage proche du nôtre sans jamais que l’on puisse les comprendre vraiment. Une analyse microscopique vire au paysage digne d’AVATAR quand une trépanation semble tout droit sortir d’ABYSS. Le corps devient lui-même fiction, obligeant le spectateur à se questionner à nouveau sur la réalité de son existence. Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor explorent l’humain comme personne encore, entre pragmatisme et spiritualité, corporéité et fantastique. « How does it feel? » demande la chanson Blue Monday de New Order qui rythme la fin de ce voyage intérieur : comme un impossible retour, ce qui a été vu ne peut être oublié.

De Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor. Documentaire. France. 115min. Prochainement. 

 

 

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