Cannes 2022 : ELVIS / Critique

25-05-2022 - 21:45 - Par

Cannes 2022 : ELVIS / Critique

De Baz Luhrmann. Sélection officielle, Hors compétition

 

Avec son amour du kaléidoscope, Baz Luhrmann plonge Elvis Presley dans un univers baroque et circacien. Déroutant au démarrage, remarquable par la suite.

 

L’angle dramaturgique d’ELVIS s’annonce très tôt, avant même la première image, sur l’apparition du logo Warner : avec un effet de réverb’, un court extrait de la chanson « Suspicious Minds » se fait entendre. Un tube dont l’une des paroles centrales, répétée en boucle par Presley, était « I’m caught in a trap I can’t walk out » / « Je suis pris dans un piège dont je ne peux m’échapper ». Mais avant de parvenir vraiment à ce nœud dramaturgique, ELVIS prend de multiples chemins de traverse, pour le meilleur et parfois, pour le pire. Dans la première heure, Baz Luhrmann explore l’enfance et la jeunesse du King, ses racines gospel et blues, puis la manière dont sa musique et son attitude, scandaleuse, bousculent l’ordre établi, du puritanisme à la ségrégation raciale. Cette heure forme un spectacle rock bouillonnant de sons et d’images, de reconstitution et d’archives, de voix off, de passages animés comic books, de scènes remarquables (la découverte du gospel et d’une vocation quasi divine), de séquences de concert mémorables (Elvis chante « Trouble » et défie un gouverneur), d’idées pertinentes (rappeler les racines noires de la musique rock) ou hilarantes (la réaction orgasmique du public), de saillies anachroniques très luhrmaniennes (on entend du rap contemporain). Ce tourbillon bruyant et incessant prend presque des atours expérimentaux et fait d’Elvis une créature circacienne, étrange et sexuelle, un héraut de la sédition, mais finit par s’essouffler par manque de dramaturgie et d’un angle vraiment fort sur son sujet. Tout va vite – comme l’ascension du King. Mais trop vite. ELVIS donne beaucoup d’informations mais raconte trop peu, si bien que le rocker peine à s’incarner autrement qu’en icône lointaine, en dépit de l’interprétation fascinante d’Austin Butler. Après cette longue et folle heure d’introduction, Baz Luhrmann ralentit enfin la cadence lorsqu’Elvis rentre de service militaire et tout bascule sur une réplique : « I’m so tired of playing Elvis Presley ». Le cinéaste, après avoir épuisé son Elvis et son public, ne choisit alors de ne raconter plus qu’une seule chose : son enfermement. Dans ce qu’il est, dans la drogue, dans sa paranoïa, et surtout, dans ce contrat faustien qui le lie à son manager de toujours, le Colonel Parker – remarquable Tom Hanks, en contre-emploi, qui s’amuse beaucoup en Méphistophélès sur maquillé. Tout à coup, ELVIS s’envole. Il ne réatterrira plus jusqu’à sa conclusion, 1h40 plus tard. ELVIS n’apparaît plus comme un catalogue d’anecdotes mais comme une véritable tragédie grecque, baroque et opératique, dont les chansons du King formeraient les chœurs antiques, et où les séquences bouleversantes et/ou iconiques se succèdent – un rendez-vous secret au signe Hollywood ; le mythique NBC TV Special ; la création des arrangements scéniques de « That’s Alright Mama » ; un contrat signé sur « Suspicious Minds »… Parce que Luhrmann fait alors des choix, et parce que sa caméra virevolte moins et se concentre sur le visage inquiet de sa star, ELVIS parvient alors à capter le cœur de son personnage et, par ricochet, à raconter des drames plus universels, connus notamment par d’autres artistes – on pense beaucoup à Michael Jackson ou à Britney Spears. Au terme de ces 2h40, la première heure bancale n’est plus qu’un lointain souvenir. Ne reste plus que l’émotion face à l’acharnement d’Elvis à être sa musique même lorsque, dans ses dernières heures, il devint une figure grotesque et raillée.

De Baz Luhrmann. Avec Austin Butler, Tom Hanks, Olivia DeJonge, Kelvin Harrison Jr., David Wenham. 2h40. États-Unis / Australie. En salles le 22 juin

 

 

 

 

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