Cannes 2022 : TROIS MILLE ANS À T’ATTENDRE / Critique

20-05-2022 - 21:01 - Par

Cannes 2022 : TROIS MILLE ANS À T’ATTENDRE / Critique

De George Miller. Sélection officielle, hors compétition

 

Les histoires comme ciment entre les êtres : George Miller signe un ‘film pour enfants’ pour adultes absolument enchanteur.

L’immense qualité de MAD MAX : FURY ROAD, au-delà de sa virtuosité visible, résidait dans un détail – qui bien sûr n’en était pas un –, presque invisible : tout ce dont le spectateur avait besoin pour comprendre le récit se retrouvait systématiquement placé au centre du cadre par George Miller. Cette nature de pur conteur se retrouve dans son nouveau film, TROIS MILLE ANS À T’ATTENDRE, jusque dans la fibre du script, puisque Miller réfléchit ici au pouvoir des histoires. Alithea (Tilda Swinton) est narratologue : elle cherche à comprendre l’universalité des contes et mythologies. « Mon histoire est vraie dit-elle, mais vous la croirez davantage si je la raconte comme un conte de fées… » Et la voilà qui nous retranscrit son expérience : à Istanbul, alors qu’elle vient d’y donner une conférence, elle frotte une babiole et libère un Djinn (Idris Elba) qui lui accorde trois vœux. Dans les mythes, cette proposition étant toujours vectrice de problèmes, Alithea refuse. Pour la convaincre, le Djinn lui raconte comment il en est arrivé là… S’ensuit un film enchanteur, qui propulse le spectateur directement en enfance, à l’époque où l’on lit « Ivanhoé », Jules Verne ou les « Mille et une nuits » sous la couverture avant de dormir, fascinés par des personnages qui bien qu’irréels, nous paraissent absolument familiers. Le savoir-faire de Miller se fait ici essentiel et l’on retrouve tout ce que l’on aime chez lui, en une sorte de film-somme – avec l’ampleur des MAD MAX, l’intimisme de LORENZO, la générosité et l’émotion des contes métaphoriques BABE 2 et HAPPY FEET, voire la folie des SORCIÈRES D’EASTWICK. Après la maestria d’une ouverture qui plante les graines de toute sa réflexion – et notamment un exposé brillant sur le conflit entre science et mythologie –, Miller retient la tension, ne dévoile pas son Djinn immédiatement, joue sur un contre-champ tardif, des effets visuels fantasmatiques, le son retravaillé de la voix d’Elba, des détails filmés en gros plan. Son chef opérateur John Seale poste souvent la caméra légèrement au-dessous des yeux, comme si elle pliait sous l’aura de personnages plus grands que la vie. Puis, lorsque le récit de la vie du Djinn débute, TROIS MILLE ANS À T’ATTENDRE s’impose en splendide machine à histoires. Des créatures imaginaires vivent dans des décors grandioses. Des batailles en CGI se font peintures animées, dignes du « Pandemonium » de John Martin. Chaque cadre recèle de personnages, de détails qui, tous, pourraient devenir à leur tour le centre d’une nouvelle histoire dans l’histoire. L’écriture est telle que, dans l’esprit des spectateurs, des récits naissent même de non-dits – « Les Djinns ne dorment pas », dit-il, nous laissant imaginer ce qu’il a ressenti pendant 2500 ans, dans sa bouteille… Cette collision de contes qui résonnent dans toute leur universalité construit un spectacle imprévisible et, patiemment, opère un rapprochement entre Alithea et Djinn, rencontre touchante puis bouleversante de deux solitudes. Et n’est-ce pas là le but premier des histoires : rapprocher les êtres ?

De George Miller. Avec Tilda Swinton, Idris Elba. Australie / États-Unis. 1h48. En salles le 24 août

 

 

 

 

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