Cannes 2022 : BURNING DAYS / critique

23-05-2022 - 13:15 - Par

Cannes 2022 : BURNING DAYS / critique

D’Emin Alper. Sélection officielle, Un Certain Regard

 

Pour son quatrième long-métrage, Emin Alper joue du polar pour sonder les abîmes de la corruption morale et du populisme.

Rien de plus grisant, lorsqu’un film débute, de se sentir immédiatement pris en charge par la poigne d’un cinéaste. Un premier plan étrange – deux personnages au bord d’un immense trou circulaire au milieu du désert. Une musique inquiétante faite de violons, de nappes et de voix étranges. Des 4×4 dont les passagers tirent en l’air au fusil à pompe – ils traquent un sanglier dans les rues escarpées d’un village séculaire. Une longue traînée de sang au sol. Sacrée ambiance que le cinéaste turc Emin Alper impose dans l’introduction de son quatrième long-métrage, BURNING DAYS. Dès lors, le spectateur est prêt à le suivre partout. On nous présente Emre, jeune procureur ambitieux récemment nommé dans cette localité – fictive, microcosme agissant comme métaphore d’un macrocosme. Il convoque deux notables dans son bureau. Leur fait savoir que tirer, même en l’air, à l’arme à feu, est illégal. Inflexible, dur à cuire, il met sous pression cette communauté déjà chauffée à blanc par les soucis d’acheminement d’eau, de gouffres géants dus à l’exploitation des nappes phréatiques et, plus largement, par la corruption et un populisme galopant. BURNING DAYS observe des problématiques sociétales, écologiques et politiques à travers le prisme du polar, et va bientôt mettre au défi son ‘héros’, qui n’en est pas vraiment un – tout juste est-il meilleur que ceux qui l’entourent. Un soir, à un dîner arrosé auquel il assiste avant de sombrer dans un coma éthylique, une jeune rom est violée. Il se sait parmi les suspects. Peut-être même est-il complice ou coupable. Mais Emre ne lâche pas l’enquête. Il dissimule, s’arrange, oui. Mais reste prêt à faire face à la vérité. Là, peut-être que BURNING DAYS peine parfois à assumer sa nature de thriller car, si Alper dissémine les fausses pistes et multiplie les souvenirs contradictoires d’Emre, il ne cherche pas l’efficacité à tout prix et reste suffisamment vague pour ne pas avoir à tout miser sur son intrigue. Ce qui compte ici, plus que la résolution de l’enquête – y en aura-t-il même une ? –, c’est la chape de plomb sous laquelle Emin Alper place son récit, son personnage et ses spectateurs. Rarement aura-t-on vu réifiée à l’écran avec autant de justesse cet étouffement angoissant que génère le populisme, ses regards d’intimidation, son rejet de l’autre, ses tactiques mensongères, son assurance arrogante. BURNING DAYS ploie littéralement sous cette tension et rien ni personne n’y échappe. Alper égratigne ainsi aussi Emre. Émerge alors un portrait sans concession d’une corruption morale généralisée, traque infernale et absurde de la différence, refus incessant et délictueux de toute responsabilité. On n’est peut-être pas encore au niveau de nihilisme de Sam Peckinpah, mais on s’y rapproche, BURNING DAYS faisant irrémédiablement penser à un lointain cousin de CHIENS DE PAILLE.

D’Emin Alper. Avec Selahattin Paşali, Ekin Koç, Selin Yeninci, Erol Babaoğlu. Turquie. 2h08. En salles le 17 août

 

 

 

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