Cannes 2022 : EO / Critique

20-05-2022 - 14:32 - Par

Cannes 2022 : EO / Critique

De Jerzy Skolimowski. Sélection officielle, compétition

 

En dépit de fulgurances formelles et émotionnelles, EO finit par tourner en rond et s’épuiser.

Lorsque, sous la pression de défenseurs des droits des animaux, la justice saisit à une artiste de cirque son âne Eo, celui-ci passe de main en main, à travers l’Europe, regardant avec perplexité le monde qui l’entoure et en particulier la cruauté et la bêtise des hommes… Avec EO, Jerzy Skolimowski reprend donc la mécanique du classique de Robert Bresson AU HASARD BALTHAZAR (déjà reprise par Steven Spielberg dans CHEVAL DE GUERRE) et nous propulse dès son entrée en matière dans un monde à part – une femme et un âne, sous une lumière stroboscopique rouge et dans un cadre serré au ratio 1.33, donnent un spectacle. La proposition se révèle très rapidement fascinante de jusqu’au-boutisme, Skolimowksi réduisant la plupart des hommes à des figures distantes, quasi accessoires. Ici, seul le regard et les émotions d’Eo comptent – tout du moins, au départ. Les cadres caressent le pelage de l’animal, encapsulent ses yeux tristes ou insolents. L’idée d’anthropomorphisation joue à plein et EO se mue très rapidement en conte de Grimm particulièrement affûté, entre séquences expérimentales – un drone survole une rivière, l’image entièrement rouge ; des passages furieusement rythmiques, en sons et lumière – et scènes comme tirées d’un classique Disney – Eo seul, une nuit, dans une forêt cachant loups et chouettes. Lorsque EO se cantonne à cette nature expérimentale, quasi muette, il se révèle d’une efficacité totale, notamment parce que les idées formelles, nombreuses et pertinentes, ne nous projettent pas tant dans la tête d’Eo qu’elles nous font l’accompagner dans son voyage. Plus que de l’empathie, l’impuissance gagne donc le spectateur, comme ligoté et bâillonné au côté de cet âne plus humain que la plupart des hommes qu’il croise. Là, Skolimowski touche parfois au sublime, la cruauté de l’humanité à l’égard des animaux jaillissant dans toute son absurdité abjecte. Il façonne également quelques métaphores pertinentes – notamment sur la lutte des classes à travers les rapports entre ânes et chevaux. Malheureusement, EO peine à se renouveler. Alors, comme si la nécessité de combler se faisait sentir, il dérive, donne peu à peu plus de place aux humains et s’éloigne de sa force pour sombrer peu à peu dans une comédie grotesque lorgnant vers Kaurismaki, sans parvenir à son acuité – tendre ou féroce. Si bien que lorsqu’arrive Isabelle Huppert dans une longue séquence inutile, inintéressante et guère à propos, EO apparaît dans tout ce qu’il peut avoir d’inégal et bancal. La conclusion, redoutable, comme une lente mise à genoux du spectateur devant sa responsabilité dans le sort animal, a beau frapper en plein bide, EO semble avoir visé légèrement à côté de ce que ses plus belles scènes pouvaient promettre.

De Jerzy Skolimowksi. Avec Sandra Drzymalska, Isabelle Huppert, Lorenzo Zurzolo. Pologne. 1h26. Prochainement

 

 

 

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