Cannes 2022 : HUNT / Critique

20-05-2022 - 21:35 - Par

De Lee Jung-jae. Sélection officielle, séances de minuit

De Lee Jung-jae. Sélection officielle, séances de minuit

 

L’acteur de DELIVER US FROM EVIL et SQUID GAME passe pour la première fois derrière la caméra et tricote un sacré film d’action sur un canevas narratif compliqué.

On ne devrait pas avoir à se gratter la tête sur des cartons introductifs ou connaître de manière détaillée l’Histoire d’un pays pour avoir prise sur un film d’époque. D’autant que pour ne rien simplifier, HUNT mélange les faits et la fiction. La répression sanglante de Gwangju commanditée en 1980 par le chef de la KCIA Chun Doo-hwan, devenu Président autocrate dans la foulée, est au cœur dramatique du film, mais dans le monde de HUNT, le dictateur n’a pas de nom. Lee Jung-jae recrée un squelette géopolitique qui aboutit à un attentat contre le Président sud-coréen mais réinvente les événements et le lieu de l’action. Son scénario orchestre toujours le compromis entre le règlement de compte historique et le spectacle à tout crin. Comme embarrassé par une exposition laborieuse, HUNT met du temps à devenir le cinéma d’espionnage dont il se revendique et noie d’abord le spectateur sous les informations, les noms et les dialogues. Plusieurs fois, le récit sera parasité par ses sous-intrigues qui, si elles sont l’apanage du genre, sont ici trop nombreuses. D’autant plus quand leur rôle dans la résolution reste assez mystérieux. Pour autant, jamais la force de la quête des personnages, la subtilité de leur psychologie ou l’évidence de leur objectif ne sont entachés. Une fois délesté de ses effets de manche, des arborescences malades qui lui pompent sa sève, HUNT affiche des intentions claires : dénoncer la désinformation, prévenir des dangers des idéologies, rappeler la fragilité de la démocratie et reconstituer le climat politique explosif qui régnait en Corée après l’assassinat du Président Park en 1979.

Début des années 1980. Park Pyong-ho (Lee Jung-jae, réalisateur mais aussi acteur), chef de l’unité internationale de la KCIA, et Kim Jung-do (Jung Woo-sung), chef de la sécurité intérieure, sont tous les deux chargés en haut lieu d’identifier Donglim, une taupe nord-coréenne infiltrée quelque part au sein de l’agence. Les deux services sont même missionnés d’enquêter l’un sur l’autre. La tension monte, d’autant que Park et Kim ont un passif et nourrissent depuis des années une terrible inimitié. Le cinéma d’espionnage coréen nous a récemment offert de très bons films : L’HOMME DU PRÉSIDENT de Woo Min-ho et THE SPY GONE NORTH de Yoon Jong-bin – pour ne citer qu’eux – qui, loin des spectacles hollywoodiens, se placent davantage dans la lignée des récits bavards et cérébraux de John Le Carré que des exploits modernes de la saga BOURNE ou MISSION : IMPOSSIBLE. Ici, c’est l’inverse. Ce n’est clairement pas un film d’espionnage de manigances ou de discours, c’est un film d’action. L’inventivité des angles et des mouvements de caméra pour capturer cascades et pyrotechnie dynamite le récit, ponctué de très nombreuses scènes de tension ou d’affrontement. Les hommes de Park, comme ceux de Kim, avancent souvent l’arme au poing, loin du cliché des bureaucrates « qui tirent les ficelles de la politique du pays ». Eux, ce sont plus les « Incorruptibles », des hommes de terrain qui provoquent fusillades, carambolages et exécutions sommaires. Les dignes hommes de main d’un gouvernement qui règne par la violence.

De Kim Yeon-seok (ANOTHER CHILD) à Yang Ik-june (BREATHLESS), les acteurs coréens passent parfois (rarement, en fait) derrière la caméra mais davantage pour des purs films de personnages – peu importe qu’il s’agisse d’une comédie dramatique ou d’un film de gangsters –, d’émotion, où le jeu des comédiens est central. Il est en revanche surprenant de voir un acteur de la trempe de Lee Jung-jae faire son baptême du feu avec une production aussi commerciale, généreuse et spectaculaire.

Reste que sous le crowdpleaser vibre le film politique emmené plus particulièrement par le personnage de Kim, ancien soldat dévoué au régime autoritaire, instrumentalisé à Gwangju pour réprimer cette manifestation étudiante que les officiels disaient manipulée par les communistes du nord. Traumatisé par les images, refroidi par son aveuglement, Kim lutte encore aujourd’hui avec l’idée d’être le bras droit de la dictature. C’est son parcours psychologique de repentance qui confère au film une profondeur psychologique typique du cinéma coréen actuel, cinéma qui ne cesse d’exorciser son Histoire et de la raconter au public – notamment le public international, bien ignorant des atrocités qu’a traversées le pays. Peut-être un jour n’aura-t-on plus besoin d’aucun carton introductif.

De Lee Jung-jae. Avec Lee Jung-jae, Jung Woo-sung, Jeon Hye-jin. Corée du sud. 2h11. Prochainement

 

 

 

 

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