Cannes 2022 : CORSAGE / Critique

21-05-2022 - 19:19 - Par

Cannes 2022 : CORSAGE / Critique

De Marie Kreutzer. Sélection officielle, Un Certain Regard

 

Dans la lignée du cinéma de Pablo Larraín et d’Andrea Arnold, Marie Kreutzer offre à Sissi l’impératrice une échappée punk et mélancolique d’une beauté et d’une invention constante. Génie de Vicky Krieps.

Oubliez les robes blanches immaculées, les valses de Vienne et l’œil malicieux de Romy Schneider. La Sissi de Marie Kreutzer a le visage pâle, la taille cisaillée par un corset étouffant. Elle ne dit rien, ne mange pas. Elle regarde le monde d’un œil triste et se contente de sourire comme sur les tableaux. Elisabeth d’Autriche est une image. Mais Marie Kreutzer a l’intelligence de détourner le chromo, non pas en le réduisant à sa face sombre et sa laideur, mais en offrant à Sissi un sursaut. Au départ sur des rails de l’envers glauque du décor, le film s’échappe très vite de son corset auteur par l’humour et la malice d’une héroïne, une vraie, qui en a marre. Une leçon d’évanouissement, de fausses rouflaquettes, une impératrice alanguie sur un tapis : soudain CORSAGE a comme des trous d’air de liberté qui font respirer le film et l’emmène ailleurs. Le film en costumes se libère de son carcan sentencieux et devient un espace de jeu , dans toutes les langues, pour faire le portrait d’une femme qui se lève et qui se casse. Un film comme échappée, un film comme un doigt d’honneur (mais en costumes) à la mise en scène minimaliste et sensorielle. Constamment CORSAGE s’octroie des libertés, des petites fantaisies, des instants purs de romanesque (une échappée dans la campagne anglaise brumeuse façon romance gothique, la découverte imaginaire du cinéma…) qui font douter le spectateur (un tracteur dans un champs, un téléphone le long d’un mur…) et offrent au film une modernité joueuse et délicate. Il fallait le génie de Vicky Krieps, actrice punk par essence, dont la beauté diaphane tranche avec son énergie folle, pour donner corps à cette héroïne. De quasi tous les plans, la comédienne impressionne, fascine, émeut par la grâce de son jeu, l’insolence constante de sa composition. Petit à petit, tandis que le film devient de plus en plus sépulcral, que l’étau se resserre sur elle, sa liberté devient une urgence. CORSAGE, alors, dans un dernier virage d’offrir une fuite en avant troublante, jeu de dupe et de double, qui pousse presque le récit vers l’étrange et le fantastique. Dommage que la réalisatrice n’aille pas au bout de son audace et retombe in fine sur une conclusion certes magnifiquement mise en scène mais plus convenue. La liberté retrouvée fantasmée de cette Sissi méritait d’être totale. Reste que, dans la lignée plastique et sensorielle du JACKIE et du SPENCER de Pablo Larraín, aussi brûlant et troublant que le HAUTS DE HURLEVENT d’Andrea Arnold, CORSAGE redonne toute sa vie à celle que le cinéma avait figée.

De Marie Kreutzer. Avec Vicky Krieps, Florian Teichmesiter, Colin Morgan. 1h53. Autriche / France. En salles le 14 décembre 2022

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.