Cannes 2022 : LES PIRES / Critique

22-05-2022 - 15:07 - Par

Cannes 2022 : LES PIRES / Critique

De Lise Akoka & Romane Gueret. Sélection officielle, Un Certain Regard

 

Au départ, on croirait une attaque en règle contre Bruno Dumont, les frères Dardenne, Abdellatif Kechiche, et consorts. LES PIRES de Lise Akoka et Romane Gueret débute par l’image DV un peu moche d’un casting de jeunes d’une cité difficile à Boulogne-sur-mer. En hors champs, le cinéaste (incarné par le flamand francophile Johan Heldenberg) pose des questions, tente maladroitement de mettre à l’aise ces adolescents pas franchement intimidés mais pas dans leur élément non plus. Il est là pour faire un film de réalisme social un peu réenchanté sur des gamins de cités du Nord de la France, tout comme eux. Et il a besoin de gueules, d’accent ch’ti bien prononcé, de regards frondeurs qui témoignent d’un quotidien pas toujours rose, pour être au plus proche du réel. Et il retient les pires, Lily, Ryan, Maylis et Jessy, ceux aux caractères les plus prononcés. Sans gants, Lise Akoka et Romane Gueret semblent s’attaquer à tout un cinéma qui se sert dans le réel sous prétexte de véracité. Les décors, les acteurs, non professionnels, deviennent alors à la fois sujet et objet d’une œuvre dont ils ne peuvent maîtriser ni la portée, ni les conséquences. Un cinéma qui déboule avec ses équipes de tournage, ses préjugés, dans des univers non préparés, créant chaos et faux espoirs. Mais ce n’est pas aussi simple, car rien ne l’est. En reprenant et en développant le pitch de leur brillant court métrage CHASSE ROYALE, le duo de cinéastes ne se limite pas à simplement pointer du doigt un certain cinéma d’auteur aux réflexes voyeurs, mais questionne les limites et les intentions. Est-ce que filmer une cité du Nord avec ses gueules n’est pas juste une manière de renforcer les stéréotypes ? Ou est-ce l’occasion d’être enfin représenté, de diversifier les regards ? Est-ce que l’opportunité donnée à ces jeunes, à ce quartier, est une chance pour l’avenir ou le terreau de futures jalousies et désillusions ? LES PIRES n’offre pas de réponses ni préconçues ni définitives mais pose des questions. Tout en étant conscient d’être juge et partie, avec son casting mi-pro, mi-amateur, et son image à la frontière entre le documentaire et la fiction. Malin, pertinent et très juste autant dans sa réflexion que dans ses portraits d’ados, LES PIRES confirme tout le talent de ses réalisatrices que CHASSE ROYALE laissait déjà pressentir. Et le plus beau est encore quand Lise Akoka et Romane Gueret rappellent lors d’une scène de lâcher de pigeons extraordinaire, aussi animée, belle et pleine qu’un tableau de la Renaissance, la magie de la fiction, la puissance de l’émerveillement.

De Lise Akoka et Romane Gueret. Avec Johan Heldenberg, Mallory Wanecques, Timéo Mahaut. France. 1h36. En salles le 23 novembre 2022

 

 

 

 

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