Cannes 2022 : LES CRIMES DU FUTUR / Critique

23-05-2022 - 23:45 - Par

Cannes 2022 : LES CRIMES DU FUTUR / Critique

De David Cronenberg. Sélection officielle, compétition

 

Huit ans qu’il n’était pas venu en compétition à Cannes. Huit ans aussi qu’il n’avait tout simplement pas fait de film. On pensait David Cronenberg à la retraite, lui aussi d’ailleurs. Mais comme le personnage de Saul Tenser au cœur des CRIMES DU FUTUR, le Canadien avait une nouvelle œuvre à produire, en lui, malgré lui et il fallait la sortir. En racontant l’histoire d’un célèbre performer qui met en scène la dissection de ses nouveaux organes aidé de sa compagne/complice Caprice, le cinéaste s’offre son film-somme. Tout Cronenberg y est et les plus assidus de son cinéma pourront s’amuser à repérer les références. Rien que son titre, qui est celui de son deuxième long-métrage sorti en 1970 mais on retrouve aussi bien les étranges machines organiques d’EXISTENZ, que la mise en images d’une nouvelle sexualité digne de CRASH, les corps bouleversés de LA MOUCHE, ou même le costume de Saul, joué par sa muse de ses derniers longs Viggo Mortensen, qui évoque les tenues de STEREO et de FAUX SEMBLANTS, pour n’en citer que quelques-uns de ces clins d’œil. Film testament ? On aurait pu le croire, comme un adieu, une manière de boucler la boucle avant la retraite, la vraie, cette fois. Mais l’annonce d’un prochain film, THE SHROUDS, semble bien faire taire cette idée.

Cependant LES CRIMES DU FUTUR a bien quelque chose de mortifère qui le parcourt dans son évocation du cancer à travers ces organes/grosseurs qui poussent à tout va et dont on ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants. À travers les décors sombres, abandonnés et décatis où évoluent des personnages blasés, en quête d’une nouvelle sensation. Peu importe laquelle tant que l’on ressent quelque chose à nouveau. Le monde court à sa perte, est anesthésié et se ronge de l’intérieur. Ou peut-être est-ce tout simplement Cronenberg lui-même qui met en images son âme endeuillée par la mort de sa femme, se voyant comme ce performer métastasé d’idées et d’images au point de les somatiser en films ou autres, écartelé par une peine qu’il est le seul à ressentir. D’ailleurs le film commence sur une tragédie où une femme tue son étrange enfant, et le décor athénien du film ne fait qu’ajouter à la métaphore. Mais résumer LES CRIMES DU FUTUR au tragique et au mélancolique ne serait le prendre que par le bout de la lorgnette. Pour rester sur un registre grec, c’est plutôt du côté des métamorphoses qu’il faut aller chercher. David Cronenberg a toujours été le cinéaste de la mutation du corps, physique et social, et cette dernière œuvre ne fait pas exception. Sauf que cette fois, le cinéaste ne résiste pas, n’est pas inquiet. Il accepte ce nouvel état. Peut-être qu’en faisant le point sur l’ensemble de son œuvre, il a compris que son étrangeté, qui a enfanté tant d’autres artistes, la dernière palmée en date Julia Ducournau en étant l’exemple le plus récent, n’était peut-être pas un mal. Mais la punition de celui qui a vu trop clair dans le jeu de ce monde qui préfère l’apparence à son essence. Si LES CRIMES DU FUTUR n’est pas le meilleur film de son auteur, il en demeure sûrement le plus personnel, le plus lucide et étonnamment optimiste.

De David Cronenberg. Avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart. Canada / Grèce / France / Royaume-Uni. 1h47. En salles le 25 mai 2022. 

 

 

 

 

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