Cannes 2022 : R.M.N. / Critique

23-05-2022 - 12:08 - Par

Cannes 2022 : R.M.N. / Critique

De Cristian Mungiu. Sélection officielle, compétition

 

Cristian Mungiu radiographie le racisme et la résurgence des populismes. Effrayant et implacable, en dépit d’une fin ratée.

Dans un village roumain, des tensions xénophobes et racistes se font jour à la faveur de l’arrivée de travailleurs sri-lankais à l’usine locale de pain… Mais avant d’en arriver là, Cristian Mungiu construit avec minutie le contexte de cette dramaturgie, explorant des sujets ayant trait à la technocratie, et notamment celui, très courant en Europe, des travailleurs étrangers. Une manière de placer l’Union Européenne en croque-mitaine lointain et invisible, bouc émissaire des pires névroses et ressentiments de populations qui craignent de perdre leur identité et leur souveraineté. Prudemment construit au risque d’apparaître hésitant ou papillonnant au départ, R.M.N. résonne furieusement avec le contexte actuel et la résurgence des pensées nationalistes, populistes et complotistes. Pour cerner son sujet, Mungiu fait preuve de la patience qu’on lui connaît, avec ses longs plans sans coupe, parfois fixes, où le temps s’étire, où les personnages se révèlent dans toutes leurs contradictions ou leurs principes, leurs courages et leurs lâchetés. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, que ce soit de manière un peu évidente (un Français, employé d’une ONG, assure qu’avec l’Europe, « c’est fini les pays et les régions, on est tous frères désormais ») ou beaucoup plus indirecte (Matthias, parangon de mascu toxique, où comment racisme et virilisme viennent des mêmes tendances névrotiques). La mécanique verse parfois dans le clinique, Mungiu mettant sa caméra à distance comme pour mieux radiographier, sans affect, mais avec recul. Intention minimale pour résultat maximal : parce que le spectateur reste légèrement en dehors de la situation, elle éclate à l’écran de manière de plus en plus ubuesque, voire kafkaïenne, à chacun de ses développements. Jusqu’à ce tour de force typiquement ‘mungiu-esque’, durant lequel sa caméra se pose, immobile pendant quinze minutes, dans une réunion à la salle des fêtes où les habitants veulent faire acte de « démocratie » et voter pour ou contre le départ des travailleurs sri-lankais. Un ultime tour de piste comme apothéose, démonstration ultime que la pathologie xénophobe qui anime ce village n’a aucune chance d’être guérie ou raisonnée. Mungiu filme ainsi une impasse et va accompagner le geste à la parole : après cette séquence d’une puissance indéniable, le cinéaste conclut son film à la va-vite, avec une scène au mieux difficile à saisir, au pire incompréhensible mais qui, surtout, verse tout à coup dans le symbolisme alors que R.M.N. avait justement pris le parti jusque-là d’être absolument terre-à-terre. Si l’effet accroît l’impression d’impasse, il laisse aussi la désagréable sensation que Mungiu peine à vraiment conclure tous ses nœuds dramaturgiques.

De Cristian Mungiu. Avec Marin Grigore, Judith State… Roumanie. 2h05. Prochainement

 

 

 

 

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