Cannes 2022 : LES AMANDIERS / Critique

23-05-2022 - 13:54 - Par

Cannes 2022 : LES AMANDIERS / Critique

De Valeria Bruni Tedeschi. Sélection officielle, compétition

 

Valeria Bruni Tedeschi convoque les fantômes des années Patrice Chéreau pour leur redonner toute leur insolente jeunesse. Drôle, tragique et romanesque. Magnifique.

Dans les années 1980, Valeria Bruni Tedeschi, jeune femme issue d’un milieu bourgeois, va vivre une expérience qui va changer sa vie. Le rêve de devenir comédienne, la rencontre avec une troupe, l’apprentissage auprès d’un maître, Patrice Chéreau. De ce moment singulier d’une vie, devenu aujourd’hui une parenthèse culte qui donnera naissance à toute une génération d’acteurs (Vincent Perez, Bruno Todeschini, Marianne Denicourt, Thibaut de Montalembert…), il ne reste aujourd’hui que quelques photos noir et blanc, des visages juvéniles que le temps a transformés et les souvenirs. C’est de cette matière-là que naît LES AMANDIERS, films de fantômes bien vivants, film à clé intime et pourtant universel.

Plongeant dès les premiers instants dans l’énergie folle, l’envie de jouer de cette jeunesse que le théâtre anime, Valeria Bruni Tedeschi met son cinéma nerveux et fiévreux au service du portrait de cette troupe. Des auditions chaotiques aux répétitions d’une pièce de Tchekov, le film tisse un jeu de va-et-vient constant entre la vie et la scène et raconte avec beaucoup d’humour, d’humanité et de justesse ce métier étrange qui oblige à être totalement soi pour se glisser dans les mots des autres. Pudeur et impudeur se mêlent, les corps se frôlent, le vrai et le faux ne sont jamais loin l’un de l’autre, la violence aussi, les jeux de séduction, de pouvoirs et de domination… : tout est saisi par cette caméra au plus près des visages et des corps. En filmant cette jeune bande de comédiens, tous vraiment exceptionnels, Bruni Tedeschi recrée sur son tournage la vitalité, la fouge d’un passé révolu. Il y a quelque chose d’incroyablement galvanisant et mélancolique à voir ces nouveaux visages de cinéma interpréter les corps d’hier. Entourée de figures tutélaires – Louis Garrel en Patrice Chéreau chaotique et magnétique ; Micha Lescot en Pierre Romans – la jeune bande d’acteurs incarne tout ce qu’incarnait cette bande d’alors : la modernité insolente, l’envie d’en découdre, les doutes, la liberté inquiète. Chronique elliptique de cette époque lointaine, le film ravive la flamme d’une génération, celle du milieu des 80’s qui croit encore que tout est possible, que tout est à portée de main. Joliment, des échos du monde rentrent par bribes dans ce théâtre : le sida, la drogue, les conflits de classe, la misogynie. Valeria Bruni Tedeschi sait d’où elle parle et son regard ne cherche pas à être autre chose que ce qu’il était à l’époque : celui d’une jeune fille de bonne famille que la liberté et l’audace des uns et des autres fascinent. Le film épouse totalement le regard de Stella, son double de cinéma, qui romantise chaque personnage qu’elle croise, de la meilleure copine délurée à cet acteur ténébreux qui se consume pour elle. Une héroïsation naïve mais sincère que Bruni Tedeschi filme comme telle pour mieux, petit à petit, emmener le film vers son versant sombre.

Récit d’une passion toxique, d’un grand amour malade, LES AMANDIERS bouleverse alors par la candeur de son héroïne qui découvre le monde, l’expérimente, s’y cogne violement. Des années plus tard, la réalisatrice filme cet univers comme une blessure, une cicatrice qui fait partie d’elle. Jusqu’à un final bouleversant où seul le théâtre permet peut-être de survivre à la douleur, où le vrai et le faux ne font plus qu’un. Dans le regard final de Nadia Tereszkiewicz – incroyable actrice forte et fragile – il y a toute la nécessité, la douleur et la guérison possible qu’incarne ce film très personnel pour la réalisatrice. On ne se libère pas d’une parenthèse enchantée. On vit avec son douloureux souvenir.

De Valeria Bruni Tedeschi. Avec Nadia Tereszkiewicz, Louis Garrel, Micha Lescot. France. 2h06. En salles le 9 novembre 2022

 

 

 

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